teddy ⊹ toi t’es né bien comme il faut, t’es solide, t’es cohérent, tu mets personne mal à l’aise dans les restaurants

Je n'ai pas de chance, je n'ai jamais eu de chance. De toute façon, je n'ai pas envie d'être chanceux. La chance, c'est pour les faibles, pour les vulnérables. Pour ceux qui n'auront jamais l'opportunité de prouver qu'ils valent quelque chose, qu'ils en ont dans le ventre, qu'ils ne sont pas des mauviettes. Qu'ils sont quelqu'un. Un nom, un prénom, une identité. Ils se prétendent uniques en vous déballant le strict minimum de leur personne, de leur histoire. Ils pensent être les seuls à qui ça arrive, les bonnes comme les mauvaises choses, ils pensent que ça ne tombe que sur eux. Ils pensent qu'ils ont raison, toujours, toujours, ils se croient parfaits, idéaux, exemplaires. Ils n'ont besoin de rien, ils pensent avoir tout, mais il leur manque tant de choses. L'amour, la reconnaissance, la gloire, l'amitié, le manque, l'absence, la loyauté, la déception, la consolation, le chagrin, la trahison. Rien. Ils n'ont rien vécu, rien franchis. La popularité et le luxe les aveuglent. Ils vivent sans pour autant comprendre. Ils agissent sans pour autant réfléchir. Non, ils n'ont rien vécu, rien franchis. Et ils ne m'auront pas. Ils ne m'auront pas. Ils ne m'auront jamais.

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Il est parti. Pour toujours. Je ne le reverrais plus. Plus jamais. Le ciel lui a ouvert ses bras et il a accepté l'étreinte sans aucunes hésitations, sans souffrances, sans chagrins, sans penser aux conséquences de ses terribles actes. Je suis triste. Je le déteste. A moins que je sois triste de le détester ? Ou bien je déteste être triste ? Je n'en sais rien, je n'ai même pas la force de pleurer. Je reste debout, serrant ma soeur contre moi, tandis que ma mère est en pleurs, à demie évanouie au sol. C'est un égoïste. Il a détruit une famille. Sa famille. Ou plutôt, ce qui en était une. Je sais qu'on se divise, je le sens. Elle m'échappe petit à petit, et je ne peux rien faire pour l'en empêcher. Non, je ne fais rien pour l'aider à se relever, à remonter la tête et à tenter d'être forte, de faire face à ce drame avec dignité. A quoi bon cacher sa souffrance ? Les gens auront quand même pitié. Je n'en veux pas, de leur pitié. Qu'ils rentrent tous chez eux, qu'ils aillent retrouver leur femme et leurs enfants, qu'ils aillent se payer des prostitués ou qu'ils aillent se saouler dans un bar jusqu'à finir ivre mort, je m'en fiche. Qu'ils partent. Je ne veux pas de leurs excuses minables, de leurs regards de chiens battus comme s'ils étaient les victimes, comme s'ils étaient malheureux pour nous. Je n'en veux pas, de leurs mensonges, de leur hypocrisie, de leur égoïsme. Ils partiraient s'ils étaient vraiment désolés, s'ils comprenaient vraiment. La surprise, la douleur, la souffrance et le chagrin font place à la colère. Des gens sont en train de se bourrer la gueule, quelque part, de se déguster des plats tout aussi gras et copieux les uns que les autres, de prendre du plaisir avec les gens qu'ils aiment, sans même penser à tous les malheurs qui puissent arriver à des gens absolument normaux. Des gens comme nous. Je les déteste. Je les déteste. Je le déteste. Il nous a abandonné. Je ne lui pardonnerais jamais.

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Katy est absolument superbe dans sa petite robe rose pâle, les cheveux tressés par les soins d'une amie du village, le visage lavé, bien qu'à l'eau froide, et nettement plus propre qu'habituellement. Ma soeur est la plus jolie. C'est une évidence. Aucune ne lui arrive à la cheville. Notre mère est belle, elle aussi, c'est vrai. C'est d'elle que Katy tient ses cheveux blonds cendrés et son regard clair, sa fine silhouette et son visage d'ange. En réalité, elle lui ressemble énormément. Mais elle est plus forte, plus solide. Elle n'abandonne jamais, ce n'est pas une lâche. Elle ne choisit jamais la facilité, j'ai passé deux longues années à lui apprendre. Ne jamais se laisser aller. Ne jamais baisser les bras. Toujours garder la tête haute. Malheureusement, même en bon donneur de morale que je suis, les leçons n'ont pas glissé jusqu'aux oreilles de ma mère. Tant pi. Désormais, elle continue son chemin, seule. Je ne serais plus là pour elle. Je suis généreux, oui, très généreux. Mais uniquement envers les gens qui le méritent. A l'heure qu'il est, ma mère doit sûrement encore dormir, après avoir passé toute la nuit à boire. Je n'y peux rien, je laisse faire. C'est égoïste, je sais. Mais elle ne mérite pas. Je prend le visage de Katy entre mes mains. Mon petit ange, mon petit oiseau. Elle doit voler de ses propres ailes désormais. La première moisson pour elle. J'ai peur, mais je ne le montre pas. Je la serre dans mes bras, elle tremble. Elle pose sa tête contre mon buste dénudé, puis, elle éclate en sanglots. Ca va bien se passer, ne t'inquiète pas. Katy, ne pleure pas, je t'en supplie. Je me pince les lèvres. Nous restons quelques minutes dans cette position. J'entends alors ma mère descendre les escaliers. Je ne lui adresse même pas un regard, et laisse Katy se précipiter dans ses bras. Silencieusement, j'enfile ma chemise blanche parsemée de tâches de café ou trouée par endroits et la rentre dans mon bermuda. Cette année, mon nom apparait trente-six fois dans le bol en verre. Ai-je déjà précisé que je n'avais jamais eu de chance ? Il va pourtant falloir que cette bonne vieille femme tienne encore un peu.