Amelia ; we're just stories in the end, just make a good one.

Le cœur serré, Amelia observa son frère boutonner une chemise blanche beaucoup trop grande pour lui. Ses mains tremblaient légèrement et il paraissait bien plus soucieux qu'à son habitude. Après un moment, voyant qu'il avait décalé le tout,  leur mère se leva de la chaise où elle s'était assise pour aller l'aider. Ses lèvres étaient pincées et elle resta silencieuse alors qu'elle ajustait la chemise pour qu'elle ne gêne pas trop son fils aîné. Ce n'est qu'une fois cela fini qu'elle adressa un léger sourire à l'enfant, un de ces sourires sans joie, qui intriguaient plus Amelia qu'ils ne la rassuraient. Finalement, ce fut d'ailleurs la fillette qui brisa le silence en courant vers son frère pour passer ses bras autour de ses épaules en soufflant :
"S'il-te-plait, Thomas, ne sois pas tiré au sort...
- Ne sois pas idiote, Amy, répliqua-t-il en riant. Mon nom n'est qu'une seule fois dans l'urne."
Pourtant, il resserra son étreinte et ne la lâcha que de longues secondes après, comme s'il craignait de ne pas pouvoir le prendre dans ses bras à nouveau. Plus tard, quand il rejoignait la file des autres enfants du district, son sourire ressemblerait plus à une grimace qu'autre chose.

Heureusement, son nom ne serait pas tiré au sort.

"Je n'aime pas les Jeux...avoua Amelia à son ami, avec une légère grimace. J'ai peur d'être un jour sélectionnée, ajouta-t-elle face au regard interrogatif qu'elle reçut.
- Pourquoi ?! s'exclama-t-il avec un réel étonnement. J'adorerais y participer, mon frère se prépare depuis des années pour y aller, et je compte bien l'imiter. Il pense d'ailleurs se porter volontaire cette année...
- Mais... Il pourrait mourir, là-bas, répondit-elle, décontenancée.
- Ou gagner ! Il est fort et endurant, on ne peut pas en dire autant de tous les tributs... La plupart ne survivent même pas au premier jour. Il a réellement ses chances, je le sais. Et s'il gagne, on pourra tous déménager au Village des Vainqueurs, et on mangera ce qu'on voudra.
- Et s'il meurt ?
- On doit bien tous mourir un jour, non ?"
Sur le coup, Amelia ne comprit pas vraiment que quelqu'un de sain d'esprit puisse vouloir participer aux Jeux. Mais, cette année-là, le frère de son ami se porta volontaire lors de la Moisson et ses performances furent remarquées dans l'arène, même s'il perdit la vie. Il aurait effectivement pu gagner, du moins, il avait mis toutes les chances de son côté. Petit à petit, la jeune fille commença à s'intéresser aux Vainqueurs précédents, à leur vie actuelle, à ce que leur Victoire leur avait apporté. Beaucoup étaient aimés, tous étaient couverts de richesse, de quoi ne plus jamais avoir à s'inquiéter. Et, quelque part, elle commença à les envier, et à voir les Jeux non plus comme un piège mortel mais comme une opportunité. Une opportunité qu'elle voulut saisir. C'est pourquoi, à ses onze ans, elle demanda à son ami comment, au juste, il comptait s'entraîner. C'est tout naturellement qu'ils commencèrent à s'entraîner ensemble.

Jusqu'au jour où Thomas les découvrit. Ils étaient alors en train de s'entrainer au corps à corps et, si le pourquoi était évident, son frère demanda tout de même, les interrompant :
"Amelia... Qu'est-ce que tu fabriques, au juste ?"
Ses sourcils étaient froncés, son visage dur : il n'était pas content. Et elle n'aimait pas le décevoir, alors, elle s'écarta aussitôt de son ami pour rejoindre son aîné.
"Thomas... Laisse-moi t'expliquer.
- Quoi ? Pourquoi tu t'entraines visiblement pour les Jeux avec un Carrière ?" Il soupira avant d'ajouter en lui prenant le bras : "Suis-moi, tu as plus intéressant à faire que chercher à te suicider. Maman a besoin de ton aide à la maison..."

"S'il-te-plaît, Thomas, il faut que tu comprennes..." chuchota-t-elle dans son lit, sachant pertinemment qu'il était éveillé et écoutait, à quelques mètres de là. "Si je fais ça, ce n'est pas pour participer aux Jeux, je ne suis pas folle, tu le sais bien. Mais personne n'est à l'abri - cette année encore, un gosse de douze ans a été tiré au sort dans le district huit. Si je suis désignée, je ne compte pas mourir gentiment mais me battre. Est-ce que c'est si stupide que ça de s'entraîner pour ça ?
- Mais ce gars, je le connais, il déambule partout en clamant qu'il participera aux Jeux, comme son frère avant lui...
- Et je ne suis certainement pas comme lui, Thomas. Tu le sais, ça, non ?"
Le silence s'instaura un moment, au point qu'elle craigne de ne pas avoir réussi à le convaincre. Puis, elle l'entendit se redresser dans son lit et lâcher :
"D'accord. Viens ici."
Elle se leva pour aller s'asseoir à ses côtés, il posa ses mains sur ses joues, s'assurant qu'elle le regarde dans les yeux. Et, malgré l'obscurité de la pièce, Amelia pouvait voir clairement les pupilles de son frère briller.
"Tu dois me promettre que tu ne te porteras jamais volontaire pour les Jeux.
- Thom...
- Promets-le, et on s'entraînera ensemble, cet idiot ne connaît rien à rien.
- Je... C'est promis, Thomas" mentit-elle finalement. Elle comptait bien participer aux Jeux et si le destin l'en empêchait, elle le forcerait. En attendant, l'idée d'être entraînée par son frère lui plaisait bien trop pour qu'elle lui avoue ses réelles intentions.

Elle avait treize ans quand ils commencèrent à réellement s'entraîner. Thomas la faisait se lever aux aurores, pour une séance de musculation avant l'école. Puis, il lui apprenait à manier des petits poignards, à se battre au corps à corps ou à grimper aux arbres le soir. Jusqu'à ce qu'il n'ait plus le temps de s'occuper d'elle quotidiennement, parce qu'il devait travailler. S'il prétend encore aujourd'hui s'intéresser aux progrès qu'elle réalise, elle ne devine jamais l'étincelle de fierté qu'elle voudrait voir dans son regard, à croire que pour lui, il ne s'agissait que d'une lubie de gamine. Parfois, il s'amuse de sa détermination, ce qui a le don de l'agacer, et ne fait renforcer que sa certitude : un jour, elle gagnera les Jeux et le rendra véritablement fier.

"Alors, Arnolds, on travaille à la conserverie ? Où sont passés tes "un jour, je gagnerai les Jeux" ? Tu comptes étouffer les autres participants avec l'odeur de poisson ?" ricana cette pétasse de Betty.
Amelia serra les poings et continua à avancer, bien décidée à rentrer chez elle sans s'attirer plus d'ennuis. Elle détestait son travail minable, elle détestait l'odeur de poisson que ses vêtements, ses cheveux et même sa peau empestaient, elle détestait qu'on rie d'elle pour cela. Mais ils devaient tous manger, et sa mère avait été claire : si elle ne rapportait pas de salaire, Amelia devait quitter la maison. Betty, elle, n'avait pas ce problème : son père était suffisamment riche pour qu'elle n'ait à se préoccuper de rien.
"Je te le dis, moi, elle ne participera jamais aux Jeux, Arnolds, lâcha-t-elle dans son dos à l'une de ses amies. C'est qu'une grande gueule, et une lâche."
Aussitôt, le sang de Amelia ne fit qu'un tour, et elle se retrouva sur Betty et la saisit par ses longs cheveux dorés, sous les hoquets de surprise des autres filles. Elle lui colla un coup de poing dans le ventre en répliquant :
"Je ne suis pas lâche. Attends de voir..."
Mais elle fut interrompue par un coup de poing en plein dans sa mâchoire. Désarçonnée, elle recula de quelques pas et se retrouva face à une brune qui accompagnait Betty. Elle esquiva le coup suivant, en décocha un à son tour qui ouvrit l'arcade sourcilière de la fille. Malheureusement, elle était seule face contre quatre, toutes aussi bien entrainées qu'elle. Et elle se prit une raclée mémorable, malgré tous ses efforts. Le soir, quand elle dut expliquer sa lèvre ouverte et ses bleus sur la joue, elle douta que son "je suis tombée au travail" ait convaincu qui que ce soit, et certainement pas son frère.