et nos coeurs sont restés dans cette mer. (absolem)

Elle observe la scène qui se joue sous ses yeux sans pouvoir réagir. Elle sait que c'est mal, qu'en ces temps difficiles, tous, devraient s'entraider, mais elle ne dit rien, et observe ses parents secouer la tête et refuser ce qui pourrait sauver la vie d'un gosse. Rien à faire, il a beau leur expliquer que c'est encore un bébé, son bébé, son cœur, son amour, sa moitié et son tout, qu'il est en train de crever alors qu'il commence à peine à vivre, que l'argent n'est rien en comparaison à ce qu'ils pourraient faire pour une vie humaine. Une vie humaine, ça vaut tout l'or du monde, ça vaut tellement plus que ces putains de pièces jaunes. Il hurle son désespoir, se met à genou, embrasserait presque les pieds de ses parents, mais il n'y a rien à faire. Absolument rien. Ils sont sans pitié et Absolem, assistant au spectacle, recroquevillée un peu plus loin, ne peut s'empêcher d'éprouver de l'injustice pour cet enfant, un peu plus âgé qu'elle, qui ne demande rien d'autre qu'un simple médicament, et qui se le voit refuser. Ses parents le jettent presque comme un chien, ne pouvant accéder à sa quête. Et c'est con, c'est tellement con parce qu'elle, elle sait qu'ils en ont. C'est un des médicaments les plus utilisés dans le district, et la réserve est pleine derrière elle. Elle voudrait, elle, aller chercher ce petit flacon et le lui tendre, dans un sourire compatissant, lui dire que tout ira mieux demain, qu'il ne crachera plus ce sang qui tache son parquet, qu'il retrouvera le sourire de son bien-aimé. Et pourtant, elle reste là, à le regarder pleurer, alors que son père est catégorique. Hors de question. Et puis, il finit par s'en aller en claquant la porte, et elle l'entend encore, là, dehors, à pleurer et ça lui fend le cœur. Absolem, elle est jeune, mais elle sait déjà que la vie est difficile. Elle voit tous les jours ces visages tristes, sombres, renfermées alors qu'ils devraient être souriants, chaleureux et ouverts. Chaque jour, elle voit ses parents recevoir une ribambelle de malades. Certains s'en sortent, la plupart finisse dans un trou. Une multitude de visages qui passe, qui vienne et reparte, pour revenir ou disparaitre à jamais. Cela ne semble pas le moins du monde affecter ses parents. Eux, ils ont habitudes. Depuis le temps, ils savent qu'ils ne peuvent sauver tout le monde. Les prix sont chers, la vie est chère, et Panem appartient aux plus riches. Mais Absolem, c'est une enfant, alors elle ne comprend pas. Elle ne comprend pas pourquoi est ce que personne n'aide les plus faibles. Pourquoi est ce que ce garçon doit-il repartir en ayant la certitude que ça y est, sa vie est foutue ? C'est injuste. C'est tellement injuste, que ce soir-là, elle n'adresse pas une seule fois la parole à ses parents, qui, ne comprenant pas son comportement, n'insistent pas. Et puis, ils se disent qu'elle doit faire sa crise d'adolescence, alors ils la laissent bouder dans son coin. A côté, son ainé semble avoir compris dès que leurs regards se sont croisés. Il a compris, parce que lui aussi, il est passé par là. Lui aussi, il lui a fallu du temps pour accepter l'idée qu'ils allaient tous crever.

(...)

« J'ai des fraises pour toi. » Qu'il lui dit en lui tendant l'objet de ses convoitises comme un diamant qui vaudrait tout l'or du monde. Absolem ne peut s'empêcher un sourire malgré la portée de ses mots. Elle n'approuve pas son comportement, elle n'approuve jamais rien de ce qu'il se permet de faire pour les beaux yeux de sa petite sœur, il le sait, mais cela ne semble pas le moins du monde l'atteindre. Au contraire, il continue son petit jeu, il le fait rien que pour l'agacer un peu plus, pour la faire réagir, pour lui montrer qu'elle aura beau répéter le contraire, elle est bien contente qu'il puisse lui offrir de tels cadeaux. Une fraise, c'est aussi chère qu'un bout de viande par ici. La blonde fronce des sourcils mais c'est trop tard, son sourire trahit déjà ses traits faussement tirés. « J'ai volé des fraises pour toi, tu veux dire. » Qu'elle réplique d'un ton qui se veut froid mais qui n'en est pourtant rien. Elle n'arrive jamais à s'énerver véritablement contre son ainé, quand bien même il se comporte comme un abruti. C'est un abruti, mais un abruti tout ce qu'il y a de plus gentil, parce qu'il ne le fait pas pour blesser les gens, mais pour aider sa famille. Surtout sa petite sœur. Son scarabée doré, comme il aime la surnommer à chaque fois qu'il la retrouve lors du dîner. Ils ne se voient que rarement, étant un travailleur acharné, mais cela ne change en rien leur relation. Au contraire, les disputes sont moins fréquentes depuis qu'il n'est plus réellement à la maison. « C'est pareil. » Dit-il en haussant des épaules, attrapant l'une des fraises pour la laisser fondre sur sa langue. Absolem l'observe sans un mot, agacée de le voir prendre cette histoire à la légère alors qu'il ne le devrait pas. Après tout, c'est un crime passible de mort. Le monde va déjà assez mal comme ça. Elle croise des bras, détournant la tête pour ne pas le voir la narguer avec ce fruit qu'elle aime tant. Elle n'a jamais gouté d'aussi bon que les fraises. C'est sans doute pour ça qu'elles sont aussi chères et si peu accessibles, même pour eux. « Je ne crois pas, non. » Pour toute réponse, il lâche un soupir et lui tend à nouveau la fraise, avec un regard particulièrement insistant. Après quelques secondes d'hésitation, elle finit néanmoins par la prendre. « Je préfère ça. » Qu'il lui dit en lui lançant un léger sourire. C'est toujours la même chose. Elle grogne, elle boude, mais elle accepte quand même le cadeau qu'il lui fait. Mais c'est plutôt mignon à voir sur son visage, on dirait un petit ange tombé du ciel, alors il s'en fiche un peu. Et puis, il sait qu'au fond, si elle est comme ça, c'est parce qu'elle a peur pour lui. Et ça, c'est une belle preuve d'amour, alors il enroule ses bras autour de ses épaules tandis qu'elle lui lance une frappe qui ressemble plus à une piqure de moustique qu'à autre chose. Et soudain, les parents traversent la salle et il remarque le visage d'Absolem se refermer pour ne montrer plus qu'une expression froide et distante. Lorsqu'ils disparaissent à nouveau, il se permet un baiser sur le front, remettant au passage une mèche blonde derrière son oreille. « Sois pas comme ça. » Mais c'est plus fort qu'elle. Plus le temps passe, moins elle arrive à les comprendre. A leur place, elle aurait pu sauver tellement de gens. « C'est tellement facile pour eux... » Murmure-t-elle, sa tête adossée à l'épaule de son frère, qui s'amuse à effleurer du bout des doigts son petit nez. « Nous aussi on a besoin d'argent. C'est dur pour tout le monde et tu le sais. » Et pour toute réponse, Absolem soupire, ne prononce plus un seul mot de la soirée, même si elle en pense beaucoup. Elle n'a pas envie de se disputer avec lui, pas ce soir alors qu'il lui a offert ces si belles fraises.

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« Un jour, je gagnerai les hunger games et je reviendrai pour tous nous sauver ! » S'exclame-t-il, le torse bombé, les bras sur les hanches, comme un héros victorieux d'une longue et difficile guerre. Absolem ne peut s'empêcher de rire face à la bêtise de son ami. Il est bête parfois, mais elle l'aime bien, alors elle sourit et elle ne dit rien. Elle se dit qu'il plaisante, sans se douter qu'il est vraiment sérieux dans ses propos. Il se voit déjà vainqueur des prochains jeux, surtout ceux de l'expiation, les premiers, parce que ça marche les esprits et que ça lui permettra surtout de rester dans l'esprit de la belle blonde. Peut-être qu'après ça, elle lui portera plus d'intérêt, et qu'elle se décidera enfin à l'embrasser à son tour. Mais elle, elle s'en fout de l'amour, et de toutes ses conneries. Elle n'a pas le temps pour ça, elle doit sauver le monde. Alors forcément, il a décidé de le faire à sa place, pour qu'elle puisse se concentrer sur quelque chose de plus important. Lui, peut-être. « Si tu gagnes, tu nous oublieras. » Qu'elle rétorque en lui tirant la langue, ce à quoi il fait mine d'être offusqué. Il quitte le tronc d'arbre qu'il a pris pour estrade et rejoint son amie assise en tailleur et qui s'amuse à arracher des brins d'herbes. « Les autres, peut-être. Mais pas toi. » Et il a ce sourire enjôleur qui fait craquer certaines filles mais qui fait rire Absolem, parce qu'elle sait comment il procède, il sait comment il est avec tout le monde. Il a beau n'être qu'un habitant parmi tant d'autres qui doit se démener tous les jours pour un bout de pain, il a ce charisme qui marche et qui le rend nettement plus sympathique. Et le pire, c'est qu'il en joue. « N'importe quoi. » Elle recommence à rire, c'est le seul moyen pour lui faire comprendre qu'il n'y aura très certainement jamais rien d'autre qu'une simple amitié entre eux. Pour toute réponse, il fait la moue, et lui dérobe un baiser sur la joue, qu'elle tente vainement d'esquiver. Au fond, elle apprécie ses gestes affectifs, ça lui prouve son attachement pour elle, ça lui prouve que dans ce monde, il y a encore de l'espoir, de l'amour. Cela dit, pas assez, malheureusement. « Tu fais semblant mais je sais que ça te fait plaisir. » Elle lève les yeux au ciel et lui lance un geste de la main, comme pour l'effacer des bois et de son esprit. Qu'il est arrogant quand il s'y met. Complices et lisant dans ses pensées comme dans un livre ouvert, il se met soudainement à rire. Il sait qu'elle déteste le voir se comporter ainsi. Elle le trouve trop narcissique, trop fier, alors qu'en réalité, il n'est rien. Elle lui a fait tellement de réflexions qu'elle n'en fait même plus à présent et qu'elle ne se contente plus que d'un soupir. Mais lui, ne voit en son geste qu'une simple affirmation de la vérité. Elle n'a pas envie de le lui avouer, c'est tout. « Je pourrai pas t'oublier même si je le voulais, t'es mon ange gardien. » Lui dit-il en lui lançant un clin d’œil entendu, qui fait sourire Absolem, bien malgré elle. Il lui tend ses bras, et elle s'approche pour qu'ils s'enroulent autour d'elle dans une tendre étreinte. Il trouve toujours les mots pour se rattraper, c'est une véritable horreur quand on essaye de lutter.

(...)

Il lui tient le bras si fort qu'elle a presque peur qu'il le lui arrache. Il l'observe, avec ce visage fermé, ce regard si froid et distant sans comprendre réellement pourquoi il les attaque sans véritable motif. C'est injuste, comme toute cette vie de merde, comme cette moisson qui a eu lieu chaque année, comme ce gouvernement pourri jusqu'à la moelle. Et puis soudain, elle comprend que c'est ce garçon d'il y a quelques années, qui a perdu son petit frère. Le garçon que ses parents ont refusé de vendre leurs médicaments. Il a cette haine dans le cœur qu'il lui faut apaiser et il semblerait que ce soit eux les responsables de sa déchéance. Un enfant est mort, certes, mais est-ce pour autant une raison de les punir ainsi ? Ils n'ont pas eu le choix, eux aussi ont besoin de se nourrir. A ses yeux, c'est encore plus injuste. Mais elle a l'habitude, Absolem, alors elle ne s'oppose pas, pas alors qu'il lui fait comprendre que si elle continue à hurler, il lui donnera de véritables raisons de le faire. Il a ce regard malsain qui brille, et Absolem est écœuré par tout ce qu'elle doit subir chaque jour. C'est du foutage de gueule, et il le sait, il en joue ce con, en appelant tous ses collègues fouiller dans leur maison. Fouiller quoi, bon Dieu ? Ils ne trouveront rien, et c'est ça le pire. C'est ça le pire, parce qu'il le sait, ce salaud qu'ils sont en règles, qu'ils ne trouveront rien, si ce n'est de vieux draps bouffés par les mites, des meubles d'un temps révolu et trois bouts de pain qu'ils ont réussi à acheter avec leur salaire. Mais ça, il s'en fout, alors elle les regarde hurler à ses parents de dégager du passage, éventrer les matelas, jeter la vaisselle en cassant au passage la plus belle, et envoyer valser tout ce qu'ils réussissent à attraper de leurs mains. Absolem a le regard qui brille, se retient de laisser couler quelques larmes en les voyant ravager ce qu'elle considère comme son paradis. C'est chez elle, c'est ce qu'il reste encore de son innocence, ce qu'elle voit encore comme un monde sécurisé et fermé aux autres, ils n'ont pas le droit de le lui arracher comme ils arrachent d'un geste de la main la tapisserie. Et puis, il lâche enfin le petit bras de la blonde, laissant une marque rouge sur sa peau et les abandonne à leur triste sort, sans même un au revoir, sans même un remerciement pour leur "coopération", le minimum syndical. Non, il se barre avec ses collègues, comme s'il ne s'était rien passé, comme si c'était normal de foutre le bordel chez les autres. Poings fermés, Absolem a la rage, et ne quitte plus des yeux la porte qui se referme sur le dernier pacificateur. Elle a cette envie irrépressible de se venger, de les retrouver et de leur montrer que c'est mal d'être aussi cruel en cette période si difficile. Il faut se souder les coudes et à la place, ils viennent leur faire gouter le gout des flammes de l'enfer. « Absolem, tu vas bien ? » Que demande soudainement sa mère en s'approchant d'elle pour tâter délicatement la marque rouge sur son bras. Et en plus, il se permet de lui laisser ce mauvais souvenir, qui se transformera en un bleu moche. « Laisse tomber, maman... j'ai pas envie de parler. A aucun de vous deux. J'ai assez donné. » J'ai assez donné pour la journée. Pour l'année. Pour toute une vie.