RAIN - les milles et deux nuits.

acte un.
Le manteau blanc de l'hiver couvre de sa candeur l'immensité du paysage. Peint de mille touches de dégradés tantôt blanc, tantôt gris, le décor émerveille le regard. Partout, qu'importe où je jette mes prunelles, je n'aperçois rien d'autre que la pureté. Douce, éclatante. Tout semble endormi. Silencieux. Le temps ne s'écoule plus en cette parcelle de terre, seuls les flocons déboulent vaillamment du ciel à un rythme saccadé. Un vent glacé brûle les parties de mon corps dénudée déjà rougies par le froid. Au milieu de ce paradis de glace ; mes jambes, mes bras, tremblent. Mon corps tout entier me fait défaut Mes phalanges se crispent, mes ongles viennent s’enfoncer farouchement dans le creux de mes paumes. Non, je ne vais pas sombrer. Je ne vais pas pleurer. Ces mots, je les répètes encore et encore. Mes paupières se referment sur mes orbes bleues, mes dents viennent mordre mes lèvres gercées. Tant bien que mal, que je tente de freiner ce trop plein d'émotion. Une minute, je m'accorde une minute avant de me laisser aller. Il ne me faut pas plus de temps. Je laisse échapper d'entre mes prunelles, des gouttes d'eau au goût de la mer. Le souffle coupé, je peine à reprendre une respiration plus normale. Je sens sur mon cœur, comme une poigne ferme qui à mesure que mes larmes coulent, se resserre peu à peu.  Je halète, je suffoque. Des brumes valeureuses s'échappent d'être la feinte de mes lèvres. J'essaie de me calmer, je veux me calmer. Pourtant, mon corps s'y refuse. Contrainte de laisser échapper ma douleurs, je m’époumone dans un cri d'hystérie.
"On rentre." Il n'eut pas besoin de déclarer son identité. Ce timbre de voix, cette habitude de ponctuer ces phrases de deux à trois mots, jamais plus. J'ouvris mes yeux, brûlée par l'eau salée, mes orbes d'un naturel bleu, abordaient des teintes de rouge. Combien de temps ai-je passé dans la neige, à me morfondre ? Une, deux, peut-être trois heures. Je ne sais pas. J'hésite un instant à me retourner, je ne veux pas qu'il me voie ainsi, faiblarde, gémissante. Refusant de me ridiculiser devant lui, je préfère encore passer la nuit le corps plongé dans la neige à contempler la vue plutôt que d'affronter son regard maussade. Soudain, sa main chaude vient se poser sur mon épaule interrompant le fil de mes pensées. La surprise me fait alors faire volte-face, croisant alors son regard. Nous sommes restés un instant comme cela. Chacun à détailler peu à peu le visage de l'autre. Bouffis, rouges, salis par le deuil. La vérité, la maudite vérité nous aurait finalement tout deux frappé. Papa est mort. Maman est morte. Il ne reste plus que nous.

acte deux.
D'un bond, je m'élance dans le vide.
Par réflexe, mes bras se tendent pour empoigner la première branche venue. Mes mains se resserrent ardemment sur la prise de bois, tandis que mon corps voltige. D'avant et arrière. Un, deux, trois. Les balançais se font de plus en plus rapide. Quatre, cinq, six. De plus en plus hauts, je sens l'écorce de l'arbre râper violemment mes paumes. Sept, huit, neuf. Je lâche ma prise. Mon corps se retrouve une nouvelle fois projeté dans le vide avant de se cramponner à un sapin rabougri.  Un rictus satisfait vient orner mon visage blafard. Ainsi, je continue mon va et vient entre les feuillages. Par trois fois, je manque de chuter, pourtant je ne m'arrête pas pour autant. Chaque saut, chaque bond que j'entreprends, je m'y suis déjà exercé mille fois. Les brindilles, les troncs n'ont plus de secret pour moi. Malgré la routine, j’éprouve toujours le même plaisir à me hisser sur les plus hauts arbres de la forêt, à me risquer dans des sauts périlleux. Perchée dans mon château entre les branches, l'idée de devoir mettre un pied au sol me fait déjà grincer les dents. Marcher, quelle perte de temps. Qui voudrait marcher, lorsque l'on peut voler.

acte trois.
L'annonce de l'expiation m'avait laissé un goût amer en travers de la gorge. Sans savoir pourquoi, j'appréhende cette règle. Les condamnés deviennent ceux qui condamne. « Si je pouvais, je prendrais ta place. » la voix plate de Nevil m'arrangeait en rien les choses. « Mais tu ne peux pas.» L'annonce de l'expiation m'avait laissé un goût amer en travers de la gorge. Sans savoir pourquoi, j'appréhende cette règle. Les condamnés deviennent ceux qui condamne. « Si je pouvais, je prendrais ta place. » la voix plate de Nevil m'arrangeait en rien les choses. « Mais tu ne peux pas.» Mon frère ne pouvait pas prendre la place, il n'avait jamais pu. Il a depuis bel lurette dépassé les dix-huit ans et, les règles des jeux sont claires. Une fille pour une fille. Un garçon pour un garçon. Jamais il n'en sera autrement. Il le savait tout aussi bien que moi. Alors, pourquoi se sent-il obligé de jouer les chevaliers avec ses belles promesses et, ses regards désolés. J'ai dix-sept ans. Bientôt, les chaînes qui me tiennent aux jeux de la faim seront brisée. Le jour de la moisson sera enfin qu'un jour comme les autres pour moi. Rien de plus qu'un jour banal où l'en envoie des enfants à l'abattoir. Mais en attendant, je suis comme eux, du bétails pour les gens du Capitole. Sourcils froncés, lèvres fendues en un rictus, cette pensée a transformé mon visage en cette chose disgracieuse. Qu'arrivera-t-il si jamais le sort se trouve être en ma faveur cette année. Si jamais je me retrouve sur l'estrade à devoir choisir un tribut. Serai-je réellement prête à tuer ainsi. Pire encore. Si quelqu'un venait à prononcer mon nom. Si l'on me désignait. Peu à peu la cadence de mes pensées s'accélèrent, je m'essouffle dans ma propre réflexion. Ma tête se balance au rythme de mon souffle, peu à peu, je me mets à avoir le tournis. Et si, je me retrouvais dans l'arène. Je ne veux pas mourir. Pas encore, pas comme cela. J'entends Nevil me dire quelques choses, pourtant je n'arrive pas à distinguer le sens de ces mots qui me jettent à la figure. Je ne veux pas et, alors ? Si je refuse de partir dans le train avec l'autre tribut, qu'est-ce qu'il me feront ? Mon corps tout entier tremble, je n'ose même pas imaginer ce que les pacificateurs seraient prêts à faire dans ces conditions. Je sens des perles de sueurs ruisseler sur mon front, le souffle coupée, je perds peu à peu pied dans la réalité. Consciente de ce qu'il m'arrive, je hais ça. La panique a pris possession de mon corps, autour de moi, je ne distingue plus que les contours du paysage. Un voile vaporeux semble avoir recouvert mes orbes claires. Mes phalanges se crispent, mes ongles viennent s'enfoncer farouchement dans le creux de mes paumes. Un bruit de verre brisé raisonne entre mes oreilles, mon poings vient de s'enfoncer dans une vitre désormais ornée d'une fissure. Je ne m'attarde qu'un instant sur ma main lacérée par le verre, à vrai dire que je n'ai pas eu le temps de réaliser ce qu'il vient de se produire que je me recroqueville, prête à venir, sous les yeux incrédules de mon frère.