➜ MOISSON DU DISTRICT 1

La moisson des vingt-cinquièmes jeux de la faim s'apprêtait à débuter. Vêtu d'une chemise blanche surplombée d'un gilet noir aux ornementations dorées et aux boutons d'argent, je me regardais dans la glace. Une main précise passa sur ma chevelure laquée et un sourire condescendant vint s'incruster sur mes lèvres. L'assurance émanait de tout mon être. Une fois les moindres détails peaufinés, je sortis de ma chambre d'un pas empli de toute la majesté que cette terre n'eut jamais portée. J'étais fin prêt pour le grand jour. Ma famille m'attendait sur le seuil de la porte. « Monseigneur a enfin terminé de se préparer ? » La réplique sarcastique parvint sans mal à mes oreilles. Toujours aussi charmante. Ma sœur semblait même particulièrement de mauvaise humeur. Mais je me contentai de l'ignorer. Rien ne pouvait venir gâcher cette journée. Le début de ma consécration. Le nom des Monroe allait rester à jamais graver dans les mémoires du Capitole. J'en fis le serment. Et finalement, après un regard inquiet de ma mère et celui empli de fierté de mon père, nous quittâmes la demeure familiale.

Le district grouillait de pacificateurs. Les habitants se dirigeaient tous vers l'hôtel de ville. Là où les attendaient leur destin. Ou du moins, celui de deux d'entre eux. L'adrénaline parcourait chaque parcelle de mon corps. L'excitation. La fierté. La hâte. Le patriotisme. Une flopée de sentiments formait ce maelström indescriptible qui grondait en moi. Mais mon visage restait marbré dans cette éternelle expression de dédain. Leçon numéro une : inspirer la crainte et montrer ta supériorité pour garder une emprise sur les autres. J'étais gonflé à bloc, prêt à décapiter mes adversaires et briser quelques crânes. Cette moisson avait beau être différente, tout le monde savait que je souhaitais plus que tout partir aux jeux cette année. Et puis, j'avais tant d'ennemis dans le district que m'envoyer à la potence serait pour eux une véritable jouissance. J'allais être choisi. Il devait en être ainsi. Que dis-je. Il ne pouvait en être qu'ainsi.

Après le brève passage à la récolte de sang, me voila dans les rangs mâles du district un. Les plus âgés se tenaient droits, leur torse bombés au même titre que leur égo. Les plus beaux habits avaient été sortis pour l'occasion. L'air se nourrissait et se chargeait de toute la fierté qui émanait des enfants dorés. Le soleil surplombait agréablement la place. Quelques têtes familières entrèrent dans mon champ de vision, mais au final, mes yeux restaient rivés sur l'estrade. Je trépignais d'une impatience dissimulée. Toujours avec un léger sourire charmeur sur les lèvres. Avec cette subtile arrogance dont faisait preuve la plupart des carrières. Parfait. Parfait en toutes circonstances. Aucune faille ne transparaissait de ma puissante cuirasse de confiance. Je n'en avais tout simplement pas. Ces fastidieuses et nombreuses années d'entraînements successifs allaient enfin aboutir à mon ultime objectif : remporter les jeux de la faim pour couvrir ma famille et mon district de gloire.

Un rictus de contentement et de fierté transperça mon faciès lorsque le staff du un s'avança sur l'estrade. L'hôtesse possédait un charisme juste assez flamboyant pour ne pas s'évanouir sous celui des deux mentors et gagnantes du district un : Pearl & Precious. Les fameuses. Les uniques. Je passais ma langue sur mes lèvres tel un avide prédateur. Quelles femmes ! Quelle force ! Quelle élégance ! Je ne pouvais m'empêcher d'être admiratif devant tant de perfection. Petit, je rêvais de rencontrer Leather, premier gagnant de notre district. Mais finalement, j'étais très satisfait des deux superbes créatures qui se tenaient devant nous. Seule ombre au tableau : le maire. Il avait certes, un certain standing et un chic indéniable, mais il était totalement éclipsé par la présence des trois autres protagonistes. Je haussais légèrement les épaules. Il faisait quand même bonne figure. "La perfection se trouve dans l'imperfection" dit-on.

L'on nous fit visionner l'habituel film d'introduction. Je récitais intérieurement les paroles, telle une hymne indélébile. Pour la gloire de Panem. Je serrais les poings, déterminé à faire resplendir mon district à travers les écrans capitoliens. Le maire entama un bref discours avant que l'hôtesse ne s'avance vers les sphères de verre et plonge sa main dans celle des demoiselles. Tout le monde retient son souffle. La plupart des carrières ne souhaitaient pas être tirés lors de ce premier moissonnage. Sur qui la malchance allait-elle s'acharner ? Mes yeux restaient vissés à la main qui farfouillait dans le récipient transparent. Au fond, peut-être que j'espérais que ça soit ma sœur. Charlie. Je ne voulais pas qu'elle perde la vie aux jeux de la faim, malgré toutes les horreurs qu'elle me faisait subir. Je ne souhaitais pas qu'elle meurt. Non... Non. Jamais. Elle ne devait pas. Et puis, la connaissant, pour ne plus jamais entendre parler de moi, elle m'enverrait probablement volontiers dans l'arène. Deux pierres d'un coup. Les probabilités tourbillonnaient au sein de mon esprit et les secondes parurent presque s'étendre sur des heures. « Sors-le ce putain de papier... » Me chuchotais-je à moi-même avec un mélange d'agacement et d'excitation dans la voix. Sors-le. Sors-le. Sors-le.

Le temps de la Moisson était de retour. Encore, aurait pu penser Pearl si ce n'avait pas été la vingt-cinquième édition. Déjà, elle redoutait cette Expiation dont on comptait faire un nouvel exemple : envoyer vingt-quatre enfants dans une arène, chaque année, pour s'entretuer, n'était pas déjà suffisant ? Apparemment pas, pour les psychopathes qui dirigeaient Panem. Une fois de plus, les habitants du district étaient invités à se rassembler sur la Grande Place, où une fille et un garçon seraient tirés au sort. Très certainement, plus d'un tribut de carrière se serait porté volontaire pour livrer bataille à leur place, s'il n'y avait eu la règle introduite pour cette édition exceptionnelle... Peut-être que la blonde aurait pu apprécier la nouveauté, si elle n'avait pas trouvé le principe complètement malsain. Cela dit, personne ne lui avait demandé son avis sur la chose, pas encore du moins. Mais quand cela arriverait, toutefois, ce qu'elle pensait réellement de cette édition d'Expiation ne devrait pas franchir ses lèvres. Avec le temps, elle avait appris à exceller dans l'art de sourire et prétendre que tout était merveilleux.

Et c'était, une fois de plus, ce qu'elle allait devoir faire ce matin. Première mission du jour : revêtir la robe qu'on lui avait envoyé spécialement pour l'occasion, se maquiller et se coiffer correctement histoire de donner une image flatteuse aux caméras. Ou, devrait-on dire, à ses prétendants éventuels. Elle était plutôt rodée, même si elle pouvait déjà entendre son styliste se lamenter sur son apparence comme si mal choisir la couleur de son rouge à lèvres était un crime... Puis, vint le moment de se rendre jusqu'à l'endroit où aurait lieu la Moisson. Elle marcha jusqu'à la Mairie, où on l'attendait pour tout le protocole réservé aux Mentors. Elle eut droit aux charmants mots du Maire, aux élans de joie de l'hôte du district qui se réjouissait déjà de cette édition et bien sûr, aux caméras qui se mettaient déjà en place. Un avant-goût de ce qui l'attendait au Capitole, en fait.

Enfin, la foule commença à se mettre en place et elle alla se placer sur l'estrade, d'où elle pouvait scruter tous ces enfants, ceux qui désiraient faire leur preuve comme ceux qui mouraient de peur à l'idée d'entendre leur nom. Et tous, certainement, réfléchissaient déjà à qui ils enverraient à leur place, redoutaient ou espéraient que qu'on donne leur nom. La tension était palpable, bien plus que les autres années, au goût de Pearl. La cérémonie, elle, ne changea pas d'un pouce : la vidéo introductive, puis le discours du maire, et enfin, l'hôte qui fait son entrée. Avec un pimpant sourire, ses ongles savamment vernis s'approchèrent de la bulle contenant les noms des jeunes filles du Un, prêts à se refermer sur leur proie...