➜ MOISSON DU DISTRICT 3

Un pied devant l'autre fait un pas. Un autre pied en fait deux, et ainsi de suite... Dit de cette façon, marcher ne semblait en rien difficile. Dit de cette façon, on eut cru que cette action était la plus banale du monde, la plus aisée à accomplir. Pourtant, aujourd'hui, rien ne serait plus dur que de passer un pied devant l'autre. Rien ne lui coûterait plus que d'avancer jusqu'à la grande place où se tenait la moisson. Et chaque année, depuis son arrivée au district, c'était la même chose. Ces pas lourds qui résonnaient autour de lui, comme autant de tambours que l'on martèlerait avec force. Son corps, comme poussé vers le sol, exerçait une résistante plus puissante à chaque pas. Il tentait involontairement de ralentir son avancée, de la rendre d'autant plus pénible. Et bien qu'il eut tout fait pour que cette pression qui lui enserrait la poitrine comme si quelqu'un avait pris soin de s'asseoir dessus comme on l'eut fait avec de vulgaires coussins disparaisse soudain, il se disait qu'elle viendrait peut-être à lui manquer. Ce serait au moins une occupation presque rassurante pendant les longues heures qui allaient suivre.

Tout à coup, les mots que Melchior lui avait adressé dans ses lettres prenaient tous leur sens. Il était terrifié à l'idée de ces jeux qui approchaient, terrifié à l'idée de peut-être se retrouver à la place de ceux qu'il avait toujours encouragé. Car au fond de lui il savait bien que malgré tous les entraînements du monde, il ne serait pas près à affronter les Jeux de la Faim. Non, il n'était pas un de ces psychopathes de tributs de carrière préparés à se battre avec n'importe quoi. Pour sa part, c'était à peine si il maîtrisait le maniement de la lime à ongle -en vérité, la panique dans laquelle il se trouvait le faisait largement dramatiser, sachant qu'il avait en vérité apprit à utiliser un couteau. Et, en tous les cas, il savait que malgré la confiance qu'il s'était donnée dans les lettres qu'il envoyait à son ami, jamais la couronne de lauriers dorée ne viendrait se poser sur sa tête. Pas cette année en tout cas. Pas encore.

Eddard fut soudainement sorti de sa torpeur par ce rebord de trottoir un peu abîmé et qui ressortait légèrement, contre lequel il trébucha. Il manqua de peu de s'étaler par terre, mais, reprenant son équilibre, il termina finalement sa course sur ses deux pieds, comme il l'avait commencée. L'air un peu gêné devant les nombreux regards qui le dévisageaient, il se remit rapidement à marcher. Les diverses pensées qui l'habitaient le perturbaient trop pour avoir honte en cet instant. Ce n'était qu'un détail.

Une fois arrivé à la place, Eddard se rangea en silence auprès des autres adolescents de son âge. Il en connaissait la plupart mais ne montra aucun signe de surprise ou d'amusement en rencontrant un visage connu. Il resta, les lèvres closes, avançant à petits pas, attendant qu'il ne soit son tour d'être piqué par le pacificateur, puis envoyé dans cette sorte d'enclos qu'ils remontaient chaque année. Comme si tous les garçons de son âge devaient se ranger bien gentiment là, telles des bêtes. On eut presque pu le comparer à cela, en vérité. Après tout, certains seraient bientôt envoyés à l'abattoir...

Et, alors qu'il jouait des coudes pour se trouver une place à un endroit pas trop bondé, il se bouchait les oreilles. Il entendait comme des sifflements affreux qui résonnaient dans sa tête et ne parvenait pas à les faire taire. Il avait envie d'hurler, de partir en courant tel un voleur, de quitter ce district de malheur. Il était prêt à traverser n'importe quelles forêts, à gravir n'importe quelles montagnes pour retrouver le capitole et remettre les choses à leur place... Mais pas à affronter les Hunger Games.

Toujours, toujours un pied devant l'autre. Respire, tu te sentiras mieux. Imagine autre chose, rêve de ce que tu ferais si tu n'étais pas là. Et déjà, tu verras, tu seras de retour chez toi.

Une nouvelle moisson... C'est comme si tout recommençait, que l'enfer qu'il avait vécut recommençait. En détaillant chacun des enfants présent, il se revoyait encore parmi eux, apeuré, tremblant de peur. En voilà d'horrible souvenir, mais c'était le quotidien de cet homme, Mercury, à chaque fois qu'il se retrouvait sur cette estrade, à attendre ses tributs, ceux qu'il guiderait. Il soupira légèrement, s'allumant une cigarette, il savait que cette journée est sans doute une des plus horribles pour les habitants de Panem, principalement certains parents, car nombreux savent que leur enfant ne reviendra pas... Et perdre un proche, l'homme connaissait, ayant lui-même participer aux jeux, et son père croyant perdre son fils n'eut pas le temps de le voir gagner... l'hôte du Capitole se présenta ensuite sur l'estrade, cela faisait un petit moment alors que le mentor errait seul sur ce bout de bois. Le maire l'accompagna, et rapidement, la place autour de l'hôtel de ville se chargea d'enfant et de parent en larme, tremblant tous de peur. Mercury s'alluma une énième clope, c'était vraiment un moment qu'il ne supportait pas, il fallait qu'il prévoit assez de cigarette pour tenir. Le maire lui demanda si il avait une stratégie pour mener les tributs à la victoire, et comme à son habitude, l'homme sourit doucement comme pour rassurer l'homme et ne dévoilant rien, alors que la réalité était bien plus lourde. Il n'avait rien prévu qui pourrait les démarquer, absolument rien, après tout Mercury n'était pas fort apprécier au Capitol.

C'est alors que le film fut lancer. Toujours le même film, depuis des années, rien n'avait changer. Absolument rien. Toujours le même silence qui s'installa, pas un murmure, les jeunes enfants devaient être paralyser de peur dans ce moment d'attente. Mercury quand à lui était aussi fort nerveux, et fort énervé, le discours du maire qui était particulièrement enflammé n'aida en rien. L'agacement de Mercury n'avait de cesse de grandir, son visage se ferma à toute conversation, il se contenta de se rallumer une cigarette, encore une peut importe si le cancer l'emporterait. Pourquoi ces maudits jeux devaient encore avoir lieu ? N'en étais-ce pas assez ? Et si les rumeurs se confirmaient, la présidente Rithels avait prévu une saison particulière... Les jeux seront ils encore plus horrible que les années précédente ? Cela serait alors un cauchemar pour le mentor de voir une nouvelle fois ses tributs mourir, que réservait elle à ces pauvres enfants ? Il l'ignorait, mais il avait peur de cette « surprise ».

Désormais, c'était le moment de panique complet pour tous, immédiatement après le discours du maire, qui ne semblait pas plaire à l'hôte, cela commençait, le silence qui c'était installer était glacial. Mercury ne bougea pas de sa chaise, se regard vide semblait contempler la foule sans vraiment les regarder. Le moment qu'il haïssait le plus, il savait qu'il serait leur dernier guide avant leur mort... Et cela, non, c'était une chose absolument insupportable. Ils étaient si proche du choix du premiers tributs, la main de Mercury trembla tellement qu'il fit tomber sa cigarette... Le moment était imminent, il était comme paralyser, incapable de ramasser la cigarette qui se consumait sur le sol, il attendit... Les jeux n'étaient qu'une boucherie, en toute franchise, le mentor préférerait encore qu'on prenne ses enfants et qu'on les fusille tous en même temps... Cela serait encore moins barbare au fond. Et dans cette attente, les secondes se changèrent en heure, les pensées du mentor se troublèrent, il savait ce que les jeunes enfants, adolescent ressentaient, tous ranger en ligne, droit comme des « I ». Il savait que la peur leur rongeait l'estomac, que certains, malgré leur allure stoïque faiblissait, il savait qu'il y aurait des larmes, des malaises, des cris... Il connaissait leur souffrance, et la revivait à chaque moisson...

Artémis. Il se souvenait vaguement avoir entendu quelque part -sans doute en cours, à vrai dire, mais l'heure n'était pas à s'attarder à de tels détails- qu'il s'agissait du nom d'une déesse antique. Pourtant, le sentiment qu’éprouvait Eddard à l'évocation de ce nom n'avait rien à voire avec cette sorte d'admiration grotesque que certains ressentaient vis-à-vis des mythes d'un autre temps. Cette dénomination le faisait plutôt songer à une jeune fille pas bien plus jeune que lui, aux airs agaçants de petite sainte qui l'avaient toujours énervé -ou l'emploi d'un mot pour atténuer le véritable sentiment éprouvé envers cette adolescente. Aux temps d'une banale édition, le jeune homme aurait dû se sentir soulagé. Hop ! Petit détour pour Artémis aux jeux de la Faim ! Piochez une carte chance et allez en prison ! On n'avait pas souvent vu de filles de ce profil remporter les Hunger Games, créant ainsi la surprise générale. D'ailleurs, l'adolescent eut été persuadé que jamais la jeune fille ne serait revenue au district 3 -enfin, du moins, vivante puisque les corps des tributs étaient renvoyés à leurs familles. Mais il avait fallu qu'Artémis soit pigée cette année. Il avait fallu qu'elle aie la chance de sauver sa vie pour sacrifier celle d'un autre, puisqu'il en était ainsi à l'heure de la première expiation. Et, étrangement, alors qu'il la regardait avancer vers l'estrade, le jeune homme savait. Il savait que désormais, pour lui, le temps était compté. Elle le choisirait pour prendre sa place. C'était certain. Le cœur battant à tout rompre, Eddard écouta l'hôte appeler le second pigé d'une voix forte. Ce jeune garçon ne lui disait rien... Tant mieux, une préoccupation de moins.

Pas moi... J'ai promis à Melchior. Pas cette année... Je vous en supplie, Dieu, Artémachin, ou qui que vous soyez d'autre, faîtes qu'elle ne me sélectionne pas !

« Eddard S. Brooks »

Lui. Son nom résonnait comme l'aurait fait le son d'un tambour frappé à grands coups de poings. Tout à coup, chaque regard c'était tourné dans sa direction. Ils n'avaient pas mis longtemps à le trouver au milieu de cette foule et l'épiaient désormais, tels des vautours. Tous n'avaient d'yeux que pour lui. Le jeune homme ne tarda pas à voir une ligne, un espace vide se former devant lui. Et ce n'est qu'à ce moment là qu'Eddard comprit : Il allait aller aux Hunger Games. Peu importaient ses prières. La guerre était perdue. Lui, pouvait déjà être enterré. Il n'y avait plus rien à faire.

Eddard commença à avancer jusqu'à ce l'estrade malgré sa tête qui lui faisait affreusement mal et les vertiges qui le faisaient régulièrement vaciller. Son corps tout entier ne cessait de trembler, il avait à la fois froid et chaud, il était glacé, il avait soif, faim, peur, confiance, il était triste, heureux, il avait mal... Mais malgré tout, il devait avancer. Il devait suivre ce chemin que les autres lui avaient frayé. C'était écrit, c'était comme ça. Merde.

Le reste des choses se passa vite. Trop vite. Le pauvre esprit du jeune homme était incapable de suivre. Il ne percevait que quelques mots du discours de l'hôte, qui semblait pour autant très excité par ce qu'il annonçait. Mais ces phrases étaient incompréhensibles pour Eddard. Il allait aux Hunger Games. Il allait aux Hunger Games. Il allait aux Hunger Games. C'en était trop, beaucoup trop. Il avait de plus en plus de difficultés à se tenir debout. Il voyait flou, il n'entendait plus rien, comme soudainement sourd.

Quelque chose s'écoulait le long de son visage, il le sentait effleurer ses lèvres avant de continuer sa course jusqu'à son menton, puis sur le sol. De temps à autres, Eddard en percevait le goût. C'était salé. Des larmes.