➜ MOISSON DU DISTRICT 6

C'est le grand jour. Le jour de la Moisson. Ce n'est pas la première à laquelle j'assiste. J'ai eu ma place à côté des filles du Un, en compagnie des autres carrières. Avant, je regardais mes frères le faire, serrée dans les bras de ma mère. Je me rappelle encore de la peur qui me tenaillait le ventre, lors de la première Moisson où je pouvais être une tribut. Je voulais rester dans les bras de ma mère. J'étais terrifiée, au contraire des autres fillettes, déjà prêtes à se porter volontaires. J'ai failli fondre en larmes devant tout le monde au moment du tirage au sort de la fille. Heureusement, ce n'était pas moi. À la fin, j'ai couru dans la foule, avant de sauter dans les bras de ma mère, en pleurant. Et j'ai fait ça à chaque année. La seule chose qui changeait était le lieu où ça se passait. Avant, c'était dans la Grande Place. Après, chez nous, autour de la table où on fêtait l'année de vie supplémentaire qui nous était donnée. Petite fille, je craignais ça. Plus mûre, la Moisson me terrifiait toujours autant. Mais cette fois, je vais faire partie de la danse. De simple spectatrice, je deviens actrice. Cette fois, je vais devoir accompagner les tributs jusqu'à l'estrade où ils seront présentés à toute Panem. Ô joie suprême.

Pas de jolie robe rose ou violette pour moi, cette fois. Pas de chaussures à talons, ni de sandales délicates. Cette année, adieu les boucles d'oreilles rondes et les gants de soie. Bonjour la tenue de pacificatrice. Sur mon visage est peinte une expression neutre, qui essaye de paraître dénouée d'émotions. Je n'ai jamais vu un pacificateur exprimer ses émotions pendant la Moisson de mon District natale. Le faire serait probablement considéré un acte de faiblesse par mes supérieurs ou collègues. Je ne veux pas être celle dont on se souvient parce qu'elle a fondu en larmes lors de sa première Moisson en tant que pacificatrice. Mes yeux bleus restent fixés sur les adolescents qui se rangent dans l'endroit prévu pour leur tranche d'âge. Une fillette blonde marche, la tête pointée vers le sol. Et dans cette gamine qui n'est probablement qu'à sa première Moisson, je me revois. Les cheveux blonds dans une natte posée sur mon épaule, une jolie robe verte, les larmes aux yeux. « Hanna', ça va? » La voix du brun à côté de moi, lui aussi vêtu de blanc, me ramène dans la réalité. « Heu, oui, bien sûr. Je... je suis juste fatiguée. » Je comprends qu'il ne me croit pas, rien qu'en voyant ses yeux plissés, mais il n'ajoute rien, pour mon plus grand bonheur.

Tout le monde est prêt. Nous, les Pacificateurs. La population, dont les possibles tributs. On est tous préparés à la Moisson de cette année. La Moisson de la première édition d'Expiation. D'un moment à l'autre le Maire et l'hôte devraient arriver, et commencer la cérémonie. Donc, on attend. Encore et encore. Jusqu'à que tout le monde se rende compte qu'il y a un problème. Un retard. C'est la première fois que je connais ça. D'habitude, la ponctualité lors des Jeux est exemplaire. Un retard est juste inconcevable pour cette occasion. Trois, quatre, cinq, puis dix minutes. Quinze, dix-sept. Tout le monde est confus. Jusqu'à que l'hôte et le maire débarquent, en trébuchant. Le film réservé aux Moisson est montré, alors que la tension remonte. Quelqu'un va bientôt partir vers une mort certaine. Et nous ne pouvons rien faire du tout. Je mordille ma lèvre inférieure, alors que je peux deviner l'hôte en train de piocher le petit papier du tribut féminin. Je pense aux filles que j'ai rencontré, celles qui pourraient être envoyées vers la mort. Et le fait que ça ne me dérangerait pas que ce soit n'importe qui.
N'importe qui. Mais pas Ryca.

ANGELS GOT A LOT TO LOOSE
WE ARE THE LOST CHILDREN

▽

L'attente était interminable. Quelque chose semblait flotter dans l'air, quelque chose de rance et de désagréable ; de la sueur ? Non, de la crainte. De la crainte qui pesait sur chaque paire d'épaules présente dans l'assemblée de jeunes gens éligibles du District des Transports, de la crainte qui pesait sur leurs parents, de la crainte qui souillait ces chaises vides au fond de la scène, prenant la place de ces vainqueurs que nous n'avions jamais eu. Car personne ici ne se faisait d'illusions ; qui oserait clamer qu'ils avaient une quelconque chance dans cette compétition morbide, là où aucun n'était jamais revenu ? C'était maintenant la vingt-cinquième année - déjà - que durait ce manège, cette triste ronde où l'on voyait deux de nos connaissances partir dans ces lieux mythiques où ils périssaient dans d'atroces souffrances. Le mot tribut était ici à sa signification la plus pure ; nous n'envoyions non pas des champions, mais de véritables sacrifices à la gloire du Capitole.

Je n'étais pas différente des autres à propos de ces pensées funestes, mais pourtant, quelque chose s'animait en moi. Et si j'arrivais à briser la ronde ? Non, c'était complètement ridicule. Je n'avais rien d'une combattante. Pourtant, une partie de moi que je n'arrivais pas à faire taire continuait de penser que ce pourrait être une solution à tout. La mort ou la victoire. Peu importait le résultat, j'aurais enfin montré au monde que je n'étais pas qu'une lunatique fille de prostituée, mais également m'aurais-je forgé une identité propre, indélébile. Malgré tout, je savais que j'y mourrais probablement. Ce n'était pourtant pas pour autant moins attirant ; j'avais eu une autre crise, la nuit dernière. Mes mains portaient encore les marques du verre brisé, fermées par de bruts points de sutures que seule Noomi savait faire. Elle m'avait trouvée juste avant que je n'utilise ces pièces du miroir que j'avais explosé d'un coup de point sur mes bras laiteux, et je ne savais toujours pas si c'était une bonne chose.

J'avais néanmoins tenté d'avoir l'air la plus normale possible devant Luca, mettant mes blessures sur le compte d'une stupide chute liée à l'alcool. Il ne m'avait pas entièrement crue, mais en même temps, c'était une explication plausible. Je craignais par contre tomber sur Hannaleigh, qui elle ne serait pas trompée par un mensonge aussi stupide. La pensée de ma grande sœur par intérim me ramena à l'action sur la scène, où les choses semblaient confuses et inquiètes. C'était la première fois qu'un tel retard arrivait ; quelque chose n'allait pas. C'était parfait pour me permettre de peser plus amplement ma décision. Voulais-je vraiment faire cela ? En même temps... Qu'avais-je qui me retenait ici ? J'étais une source de problème pour tout le monde. Ma mère, Luca, Hanna, Noomi, Oska (pour ne nommer qu'eux)... ne se porteraient que mieux de mon absence. J'étais un fardeau. Et si j'en ressortais vivante... Qui vivrait verrait. J'aurais au moins quelque chose d'accompli dans ma vie. Et puis, il y aurait beaucoup de circens ; mon pull de laine rapiécé faisait tache vis-à-vis les robes des autres filles, mais je n'avais pas réussi à tirer d'argent pour quoi que ce soit de joli. Luca et moi n'étions même pas assez riches pour nous payer de tenue appropriée.

Ainsi ne voulus-je pas me faire piger. C'était tellement paradoxal comme situation que c'en devenait presque drôle ; un sourire en coin se dessina sur mes lèvres. J'imaginais déjà les carrières pester en entendant leur nom, voyant leur sort condamné à être sécuritaire. Bah. Au moins les reprises des Moissons seraient un bon spectacle d'humour.

Je vis finalement notre hôte apparaître, au grand soulagement de la foule qui commençait à s'impatienter vue la potentielle demi-heure d'attente. Et son entrée fut des plus étranges ; titubant jusqu'au micro avec le maire à ses côtés, ils confirmèrent que quelque chose n'était pas normal. On passa rapidement le film de propagande que je regardai avec un amusement cynique. Mais je ne m'attardai pas plus longtemps ; un spectacle bien plus amusant se déroulait sur scène. Le maire et Tiberius Lockhart, mon dieu... Je n'avais pas été la seule à abuser de l'alcool, récemment. C'était à chansons d'ivrognes (je crus discerner l'hymne de Panem, mais je n'y aurais pas mis ma tête à parier) et à danses lascives qu'ils occupèrent toute l'attention. La foule grondait intérieurement, insultée du peu de respect donné par les membres de l'autorité en une heure aussi grave, mais moi, j'étais secouée de rires. Bon dieu. C'était donc ça qui les avait retenus. Et ça en valait l'attente, ça oui ; c'était pour le moment la meilleure Moisson à laquelle j'avais été tenue d'assister.

Le maire vint « réciter » le Traité de la Trahison, mais en remplaçant la plupart des mots par des mets intéressants (« Hunger Games » devint « Hamburger Face », par exemple), avant de se noyer dans ses paroles et mettre fin à de plus amples embarras d'un mouvement ample de la main. Et c'est en riant bêtement que l'hôte, enfin, plongea sa main dans l'urne.

Mais personne n'écoutait vraiment.

ANGELS GOT A LOT TO LOOSE
WE ARE THE LOST CHILDREN

▽

C'était mon nom. C'était mon nom qu'il venait de prononcer.

J'avais souvent entendu des histoires sur les tributs moissonnés. Que le moment où ils étaient appelés, ils n'arrivaient pas à croire que c'était à eux que s'adressait l'annonce de l'hôte à la foule. Que le nom prononcé se déformait, devenait flou, semblait prendre l'apparence d'un autre. Dès lors, ils se sentaient soulagés, libérés du poids de la mort. Mais ce n'était que pour mieux les rattraper ; la foule se retournait lentement vers eux, ils entendaient leurs proches hurler au loin, et peu à peu, ils réalisaient l'étendue du désastre entre leurs oreilles bourdonnantes. Sauf que pour moi, ce fut tout le contraire.

Je n'avais jamais été aussi attentive de toute ma vie. Entre les murmures désapprobateurs de la foule quant à l'attitude de Tiberius Lockhearst, j'avais clairement entendu ces syllabes, ces syllabes qui lorsque fusionnées formaient les mots qui me nommaient. Ryscea Yune Pitchraider. Lockhearst avait même buté sur les prononciations mystérieuses de mon patronyme, probablement un peu aidé par l'alcool, mais je me reconnus de toute manière. Je m'entendis, au fond de ma tête, corriger sa phonétique en Riskéa Youn Pitchrèïdeur. Et par dessus tout, je ressentis cette indescriptible déception qui perça un trou en mon ventre. J'avais l'impression que mon corps était entièrement creux, mais pourtant rempli d'eau. Ma chance était passée. Même que soudainement, j’acquérais le pouvoir de me faire détester par tout mon district.

Les gens ne s'écartèrent pas pour me laisser passer, ne bronchèrent pas à l'annonce du nom. Personne ne semblait l'avoir entendu sauf moi. Je me faufilai entre les corps tremblant des jeunes filles de seize ans encore craintives de se voir donner le rôle de bourreau alors que je l'avais déjà endossé depuis ce qui me semblait être une éternité. Et, étonnamment, alors que ma maigrelette silhouette enveloppée dans son pull de laine rapiécé, affublée d'un jean troué et aux baskets déchirées, apparut sur l'écran géant qui dominait la place, je me rendis compte d'une réalité effrayante. J'adorais mon rôle.

C'est lorsque je fus sur scène que l'assemblée commença à comprendre que j'avais déjà été appelée. Je remarquai toutefois mon frère, devant mes yeux ; Luca, lui, avait compris avant les autres. Cependant, en ses yeux apeurés, j'y décelai une innocence toute tragique. Il avait oublié le revirement de situation de cette Moisson, j'en étais sûre. Je ne craignais rien. Il n'avait pas à s'en faire. Non, il devait craindre ce que je pouvais infliger, désormais, à n'importe lequel de ses compatriotes masculins.

Je fus immédiatement interrompue dans mes pensées ; de grandes mains moites m'attrapèrent la tête avant que des lèvres humides et puant l'alcool fort ne m'embrassent les joues bruyamment. Sur le coup, l'odeur sinistre de l'absinthe ne fit que me pétrifier sur place, alors que mon coeur battait de plus en plus fort ; mon subconscient avait immédiatement rattaché cette odeur à des hématomes, et il me prit quelques secondes avant de réussir à me maîtriser, évitant ainsi une violente réaction envers le pauvre envoyé du Capitole. Gênée, je lâchai un rire à mi chemin avec le soupir de soulagement en écartant l'homme, que je clouai à sa place d'une forte poignée de main. Les gens ivres étaient mon domaine de prédilection, ainsi ne doutai-je pas un seul moment que j'étais la mieux placée pour dresser notre hôte.

Lockhearst alla pêcher le second élu de cette macabre saison des récoltes, me laissant contempler la foule d'un air pensif. À l'intérieur, je souhaitais ardemment que le nom pigé fût celui de mon frère, voire celui d'Oska ou de n'importe quel autre garçon que je connaisse, mais je savais mes chances bien minces quant à un tel miracle. Après tout, n'avais-je pas été moi-même épargnée ? Un coup du sort aussi tiré par les cheveux m'aurait fait rejoindre Lockhearst dans son hilarité, alors qu'il échappait la moitié des papiers sur le sol avant qu'il ne puisse articuler le nom du second bourreau.

« Callum Rowblade ! »

Ce nom me dit quelque chose, mais la seule pensée qui me traverse l'esprit, c'est que Luca n'a pas été secouru avec moi. Pourtant, tout aurait été plus simple de cette façon. En même temps, je le savais très bien que je n'allais pas être sélectionnée par un miracle ; voilà qui faisait une bien triste journée ponctuée d'une double déception. Néanmoins, je laissai le soin à Callum - qui me lança un regard noir de son imposante silhouette - de choisir en premier. J'avais encore besoin de réfléchir.

- Les dames d'abord, l'invitai-je d'un ton funeste.

Je n'entendis même pas ce qu'il dit. Je ne m'en préoccupais pas beaucoup de toute façon, et s'il décidait de faucher une fille de ma connaissance, j'aurais tout de suite eu une cloche à l'oreille.

Il me restait à choisir, moi. Les caméras étaient pointées en ma direction, attendant le moment de vérité où je laisserais tomber le verdict fatal qui entraînerait certainement un jeune homme dans la mort. La sensation de pouvoir absolu me prit aux tripes, une sensation délicieuse au goût si exotique, que je n'avais jamais pu même entr'apercevoir avant aujourd'hui : le contrôle. C'était désormais moi qui décidait. Plus personne d'autre. C'était à la fois merveilleux et terrifiant. Je me demandai ce qui se serait passé si j'avais été là, parmi eux. Si Callum m'aurait choisie, moi. J'en doutais. Personne ne me haïssait réellement, au district Six. Alors de quel droit pouvais-je enlever quelqu'un que moi-même je ne détestais pas ? Je ne pouvais envoyer ma mère aux Jeux, vu son âge et son sexe. Ce qui me laissait totalement au dépourvu ; je n'avais pas vraiment envisagé d'être pigée aujourd'hui, malgré mes quelques tesserae. Mais qui..? Qui méritait la mort ?

La réponse était simple.

Personne.

La sensation de pouvoir me monta à la tête. Je me sentis vibrer, consciente que personne ne pouvais plus diriger ma main. Tant que les règles étaient suivies, j'étais intouchable. Je pouvais choisir n'importe qui. N'importe qui. Un sourire triomphant apparut sur mon visage ; je pouvais le voir sur les écrans. Il était temps de se faire un peu remarquer par les habitants de Panem.

Je serpentai entre Callum et Lockhearst pour me retrouver devant la boule de pige des garçons et d'y plonger ma main. Quant à ne pas savoir qui choisir, le hasard pouvait le faire à ma place, n'est-ce pas ? Je savais que je jouais réellement avec les nerfs du gouvernement, mais hey, n'était-ce pas ma raison d'être, de me foutre dans la merde et d'en ressortir en un seul morceau ?

Sauf que je payai cher mon arrogance. Le petit billet de papier me révéla un nom que je n'avais pas prévu voir apparaître.

Akyster Luca Pitchraider.

Ma voix se bloqua dans ma gorge. Il n'était pas question que je choisisse mon propre frère, pardi ! Je tentai de lâcher de papier et d'en piger un autre, mais aussitôt, une poigne de fer me retint. Une poigne qui puait l'alcool. Je levai des yeux horrifiés sur l'hôte

- Tss tss, gloussa-t-il, on ne réfute rien, chérie. Akyster Luca Pitchraider !

Tiberius fait tomber la boule de verre remplie de papiers, en essayant d'en prendre un. La boule roule, avant de tomber près des habitants. L'hôte n'arrête pas de rire, alors qu'il prend un petit papier, et de l'ouvrir. Sa voix est presque incompréhensible, mais je pourrais reconnaître ce nom partout, quelle que soit la façon dont on le prononce.

« RYSCEA Y. PITCHRAIDER »

Soulagement. C'est la première sensation qui occupe mon corps. Elle a été choisie. Elle va monter sur l'estrade. Elle sera à côté de l'hôte. Mais ce ne sera pas elle la fille envoyée vers une mort certaine dans une arène éloignée de son District natale. Elle sera toujours là dans un an. Elle verra un autre hiver plonger dans le Six. Elle vivra. Je me retiens de sourire bêtement, alors qu'elle s'avance discrètement vers l'estrade. Estrade où l'hôte ne semble pas maître de lui-même. Il rit, pendant que Rica se dirige vers lui. Tous les yeux du Six sont rivés sur cet hôte, qui semble tout sauf en bon état. Comme quoi l'alcool ne fait vraiment pas bien à la santé. Je me force de rester droite, tout en regardant le reste de la population attendre. Attendre de découvrir qui devra choisir le tribut féminin de cette édition. Le garçon qui devra choisir la fille à envoyer dans une arène à sa place. Mes yeux se baladent entre les têtes aux cheveux courts, en imaginant la pression qu'ils doivent ressentir sur les épaules. Qui sera l'heureux élu qui aura l'honneur d'envoyer une fille à la mort? En 24 ans, le Six n'a jamais eu de gagnants. Ici, l'espoir n'est pas dessiné sur les traits des habitants. C'est le désespoir. Ils savent que les deux jeunes adolescents qui partiront vers le Capitole ne retourneront pas. Ils savent que le prochain gagnant ne sera pas originaire de ce District. Ils savent que le Capitole n'acclamera pas le prénom d'un miraculeux tribut du Six ayant réussi à survivre. Ils savent.

Le garçon dont le prénom a été crié par l'hôte s'avance vers l'estrade, les poings serrés. Il avance vers Rica, près de l'hôte et du Maire, qui, maintenant, est endormi. Ce soir, le district Six va être la risée de Panem, avec son hôte ivre et son maire endormi. Mais je ne fais pas de remarque, en me contentant de contrôler que tout le monde reste calme. Le nom d'une fille arrive rapidement à mes oreilles. La victime de Callum. Je vois la fille avancer vers l'estrade, les larmes aux yeux. Je ne la connais pas. Mais elle pourrait être moi. J'aurais pu être à sa place si j'avais été dans un district pauvre, obligée à prendre des nombreuses tesserae pour vivre. J'aurais pu moi aussi devoir marcher vers cette estrade, en me préparant à la mort. Mais certains ont plus de chance que d'autres. Je me retourne, en voyant Ryscea hésiter. Elle se dirige vers la boule de verre qui contient les prénoms des garçons. Ainsi, elle va laisser son choix au hasard. Je ne connais pas la raison qui la pousse à faire ça. Peut-être qu'elle ne veut pas devoir faire un choix qu'elle pourrait regretter. Peut-être qu'elle veut imposer ses propres règles. Montrer qu'elle n'est pas un simple pion. Elle prend un petit papier. Mais elle essaye de le remettre dans la boule de verre. Pourquoi? Pourquoi faire cela? Quel est le nom qu'elle a lu dans ce papier? L'hôte, Tiberius, le lui arrache de la main, avant de lire le nom à voix haute.

« A. LUCA PITCHRAIDER »

Luca... Pitchraider. Le frère de Rica. Je ne peux qu'imaginer l'état de Ryscea en ce moment. Elle voudrait peut-être n'avoir jamais pioché ce papier, en avoir attrapé un autre. Elle doit probablement s'en vouloir. Le public commence à huer. Certains blâment Rica, d'autres le système de ces Jeux. Certains empêchent au garçonnet de monter sur l'estrade, alors que j'essaye de calmer les âmes enflammés avec mes collègues. Je ne veux pas essayer de les contenir. Je ne veux pas essayer de les convaincre à se soumettre. Je veux juste proposer à Rica mes bras. Je veux que le public se révolte, qu'ils aient la mieux. Qu'ils embrasent le monde.

Finalement, Luca peut monter sur l'estrade. Je le vois avancer vers sa soeur, le pas tremblant. Je m'efforce de paraître le plus calme possible, d'éviter de montrer les émotions qui menacent de grandir dans mon esprit. J'essaye de me focaliser sur le fait que Rica va bientôt descendre de cette estrade et pourra rester ici une autre année. Mais au dernier moment, l'hôte reprend la parole. « Cette année les tributs sélectionnés et ceux qui les ont choisis seront liés par la vie dans l'arène. Ensemble dans la mort, ou encore dans la victoire. Je vous présente les quatre tributs du district 6 pour la 25e édition des jeux. » L'espace d'un instant, je fixe l'hôte, hébétée, en essayant de comprendre. Les quatre tributs...? La révélation arrive comme un coup de massue en pleine tête. Ryscea va partir aux Jeux. Le feu que j'essayais de calmer dans les foules tout à l'heure revient comme une tempête, en embrasant mon esprit. Ils ne peuvent pas faire ça. Pas après nous avoir faits espérer. Je serre les poings de rage, tout en regardant Rica. Elle n'est pas une carrière. Elle n'a pas les compétences nécessaires pour gagner. Elle va mourir. Et je ne veux pas de ça.

Je monte rapidement les marches, avant d'accompagner Ryscea dans l'hôtel de justice. Ce même hôtel qui verra dérouler ses adieux à son district. Au district gouverné par ce même pouvoir qui l'envoie vers une mort certaine. Le même pouvoir que je sers.

Une seule phrase semble décorer cette scène. Une phrase que ma mère récitait, une phrase qui signalait le début d'une poésie. « N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit. »