summertime sadness. (f. terminée)

« je vais être volontaire pour la prochaine moisson. » lâcha-t-il d'une voix traînante, une certaine exaltation venant pourtant attiser ses ardeurs. Tel un coq dans une basse-cour, l'adolescent fanfaronnait auprès des autres enfants de son âge depuis quelques minutes. La stature droite et fière, il s'exprimait avec des gestes grandiloquents et un air faussement décontracté. Assise sur l'herbe sèche, à quelques mètres du garçon, Heidi contemplait silencieusement le spectacle qui s'offrait à elle. La bouche-bée, la jeune fille était partagée entre l'incrédulité et l'émerveillement à chacun de ses propos si remarquablement présomptueux. « je déteste les gars de son genre. » grogna Rufus, qui venait d'apparaître soudainement derrière elle. Heidi tressaillit faiblement, ce qui lui valut un regard dubitatif de son aîné alors que ses jambes se fléchissaient afin de s'accroupir à ses côtés. « l'année dernière aussi, il avait dit qu'il se porterait volontaire à la moisson. » Rufus secoua légèrement la tête tout en ne quittant pas le bellâtre du regard, avant de laisser échapper un rire sardonique. « il ne faut jamais dire quelque chose que tu ne peux pas assumer par la suite, Heidi. » sa cadette acquiesça docilement, ses grands yeux émeraudes observant avec adoration son frère. Celui-ci s'allongea ensuite sur l'herbe jaunâtre et ferma les yeux, tandis que la rousse reportait à nouveau son attention sur l'impudent adolescent, tout en arrachant pensivement quelques brindilles de ses mains pâles. Quelques secondes se passèrent ainsi dans le plus agréable des silences, malheureusement régulièrement ponctué de quelques éclats de voix venant du groupe. « et toi...» suggéra-t-elle délicatement à Rufus, alors qu'elle inclinait sa tête sur le côté, son oreille effleurant ainsi son épaule nue. «...tu te porteras volontaire un jour ? » « Jamais. » répondit-il instantanément, surprenant sa soeur par la férocité de son affirmation. Elle lui jeta un coup d'oeil stupéfait. « vivre, c'est ce qu'il y a de plus important. Parier avec sa vie pour l'argent et la gloire...» Les yeux toujours clos, les mains de Rufus s'étaient crispées tout comme le reste de son corps, habité d'une nouvelle tension. « ...c'est totalement con. » Rufus claqua sa langue contre son palais, la mâchoire serrée. « n'oublie jamais ça, morveuse. » insista-t-il d'un ton à la fois léger et lourd de sens, alors qu'il tirait brusquement sur la queue de cheval de sa soeur. Cette dernière poussa un cri de surprise avant de frapper violemment son poing sur l'estomac de son aîné. Rufus se contenta de ricaner nullement blessé par le coup, cela malgré toute la bonne volonté que sa cadette y avait mis. Le jeune homme l'attira brutalement contre son torse, la poussant à s'allonger contre lui, et entourant d'un geste protecteur les épaules d'Heidi. Il sentit plus qu'il ne vit la moue boudeuse de cette dernière, et ne put s'empêcher d'éclater de rire. « Morveuse. » répéta affectueusement Rufus, en la serrant davantage.

(...)

Le sang gangrenait l'air de son odeur acrimonieuse, provoquant sur Heidi des haut-le-coeur de plus en plus douceâtres et rebutants. Terrorisée elle scruta les alentours, persuadée que l'odeur pestilentielle allait attirer des adversaires d'une minute à l'autre. Malheureusement, elle ne parvint guère à distinguer une forme quelconque dans l'obscurité angoissante. La pénombre était en effet maîtresse dans chaque aile du château fort, la faible clarté du jour pénétrant sporadiquement les étroites meurtrières, donnant un aspect sépulcral à la forteresse.

« Passe-moi la hallebarde. » lui ordonna soudainement Rufus, un bras tendu vers elle sans pour autant la regarder. Le carrière était bien trop accaparé par le tribut qu'il tenait fermement à terre avec le poids de son corps. Ayant bloqué l'enfant afin qu'il ne puisse esquisser le moindre mouvement, les genoux et mains de Rufus baignaient dans une marre de sang visqueuse, qui se répandait lentement au sol. La vision était épouvantable. Heidi recula instinctivement contre le mur en pierres, et s'y adossa tremblante. La roche était si glaciale que ses muscles se crispèrent subitement et que de violents frissons parcoururent son échine. La sensation était fortement désagréable, mais Heidi ne bougea pas d'un cil.

« Heidi, grouille-toi.» Le tribut tenta vainement de se débattre en poussant des cris sinistres, qui se répercutèrent contre les parois grisâtres du couloir. Ils allaient le tuer. Cela allait être le premier meurtre de la fratrie Breckenridge dans l'arène. Un homicide perpétré de sang froid après une traque sans merci...elle ne pouvait pas. « Les autres ont du l'entendre, ils vont rappliquer.» Les hurlements du tribut s'amplifièrent, et Rufus réussit à plaquer une main rugueuse contre les lèvres sèches de l'enfant.

« Heidi. » insista furieusement son aîné. Cela suffit à la jeune fille pour sortir momentanément de sa torpeur. Prenant son courage à deux mains, elle s'avance en chancelant vers le corps ensanglanté, prête à lui porter le coup fatal avec la hallebarde qu'elle peinait à tenir de ses mains maladroites. « d'acc-d'accord je...je vais le faire.» bégaya-t-elle, plaçant le bout tranchant à quelques centimètres de la tête du tribut, dont les yeux s’écarquillèrent d'effroi. « non. » rétorqua fermement son frère. «Je t'ai dit de me la donner. »  La rousse cligna des yeux, son attention fixée sur le dos de son coéquipier. Celui-ci lui prit la hallebarde, toujours accroupi sur le tribut. La vue de l'arme médiévale dans la main d'un Rufus déterminé lui coupa le souffle, la panique se lisant aisément sur le visage pâle de la carrière.

« Désolée. » chuchota subitement Heidi, des larmes apparaissant aux coins des yeux. « Pardonne-nous. » Rufus se figea, tandis que le tribut effrayé se tournait vers elle, réalisant que ses excuses lui étaient destinées. Leur regard se croisèrent, et le temps s'arrêta l'espace de quelques secondes. Ils se comprirent, puis lentement, l'expression du garçon se transforma en une douloureuse résignation. Rufus sentit les muscles de l'enfant se détendre sous lui. Durant une seconde d'égarement, le carrière ne sut comment réagir. Il oublia ce qu'il s'apprêtait à faire, un épais brouillard obscurcissant sa raison. Il répugnait à ôter la vie c'était un fait indéniable, mais il s'agissait là de la seule et unique solution afin d'épargner Heidi. Il s'était porté volontaire pour la sauver physiquement, mais également pour l'épargner moralement. Il ne pouvait rechigner à accomplir cette base besogne, auquel cas sa soeur succomberait à des affres et tourments cauchemardesques. Son âme était bien trop honnête et pure pour se voir corrompre par les bassesses et les jeux pervers des Hunger Games.

«Recule-toi...» murmura alors Rufus, d'une voix soudainement troublée. Son regard s'ancra dans celui larmoyant de sa soeur. «S'il te plaît, Heidi juste...» Il déglutit difficilement. «Ne regarde pas.»

La carrière se mordit la lèvre inférieure tout en acquiesçant. Puis, ses yeux papillonnèrent et se fermèrent brièvement devant le spectacle déchirant, avant qu'elle ne se mette à murmurer des excuses inaudibles.

Elle n'entendit pas le bruit morbide de l'égorgement accompagné du fugace grognement de douleur du tribut.

Et quand il poussa son ultime soupir, le regard embué du tribut resta rivé sur le visage angoissé d'Heidi.

Rufus, quant à lui, se redressa sans un mot agrippé à la hallebarde. Tel un gladiateur, il resserra son plastron l'air inexpressif, alors qu'Heidi essuyait piteusement ses larmes d'un revers de main. De la compassion pour ses ennemis, Rufus eut une brève pensée pour leurs mentors. Ils ne s'y étaient certainement guère attendus. La pensaient-ils faible ? Allaient-ils revenir sur la promesse qu'ils lui avaient faite, décidant qu'Heidi n'en valait décidément pas la peine ?

« Pardon, pardon, pardon...» récitait cette dernière, ignorant le brutal coup de canon qui résonna dans l'arène. Une détonation morbide qui fit sursauter légèrement son frère. Ses épaules s'affaissèrent imperceptiblement, et il se détourna de la scène, comme pour oublier ce moment décisif et abominable.

Malheureusement pour lui, Heidi le referait à chaque fois qu'ils s'approcheraient d'un tribut pour lui asséner le coup fatal. A chaque fois, elle chuchoterait ces quelques mots lourds de sens, blessant involontairement son frère qui peinerait à les tuer, lui rappelant indéniablement la cruelle portée de ses actes. Mais Rufus poursuivrait sa quête pour la victoire avec une détermination sans faille. Car Heidi devait gagner, quoiqu'il puisse lui en coûter.

(...)

« Morveuse...»  chuchota-il avec un sourire, alors qu'elle épongeait le liquide pourpre et poisseux qui creusait un sillon du coin des lèvres vers la mâchoire carrée de son frère. Le coeur d'Heidi accéléra lorsqu'elle réalisa que la musculature de Rufus devenait de plus en plus rigide et glacée. La Mort prenait peu à peu possession de son corps, rongeant pernicieusement les quelques forces vitales qui lui restaient. Il allait mourir. Elle le sentait dans la façon dont ses râles se transformaient doucement mais sûrement en une respiration sifflante et éreintée. « T'as-t'as gagné...» exulta le jeune homme, son rire se métamorphosant rapidement en une quinte de toux. « Tu vas-vas...» Heidi essuya un énième filet de sang autour des lèvres de son aîné. «...vas vivre...» Rufus arborait une expression triomphante et radieuse, comme s'il venait de remporter lui-même l'édition, alors qu'en réalité, le garçon s'éteignait progressivement. « je peux pas vivre sans toi. » gémit heidi, éplorée. « arrête tes-tes con-conneries, morveuse...» Rufus fronça imperceptiblement les sourcils. Il voulut ajouter quelque chose, mais la douleur lancinante provoquée par son entaille à l'abdomen le fit grimacer. Sa tête s'affaissa sur l'épaule d'Heidi, humant l'effluve familière de la chevelure de sa soeur. Il souffrait, réalisa la jeune femme, il souffrait tellement et elle ne pouvait rien y faire. Heidi se sentait impuissante. Tout était de sa faute, il s'était poignardé pour elle, pour qu'elle puisse gagner cette finale. « tu vas me manquer. » sanglota la rousse, resserrant son étreinte autour de son frère. « tu...toi aussi, tu-tu me manqueras... » Les larmes d'Heidi redoublèrent. Elle poussa un hurlement désespéré quand elle sentit quelque chose d'humide sur son cou, et qu'elle prit conscience qu'elle voyait son frère aîné pleurer pour la première fois. Il resta néanmoins silencieux jusqu'à la fin, mourant avec dignité, mourant comme un héro.

Un vingt-troisième et dernier coup de canon retentit dans l'arène. La vingtième édition des Jeux était terminée.

Elle était seule à présent.

(...)

La première fois qu'il effleura ses courbes voluptueuses, il se jura de ne jamais oublier ce sublime moment. Heidi était une créature mystique dont le coeur pur et innocent lui avait fait perdre pied avec la réalité. Elle était à lui, rien qu'à lui. Oh, bien sûr qu'il savait qu'il n'était pas le seul à caresser sa peau rosée et soyeuse, à embrasser délicieusement la commissure de ses lèvres pulpeuses, ni à attendre désespérément ne serait-ce qu'un seul gémissement de plaisir de sa part. Certains clients de sa douce nourrissaient des fantasmes divers et variés, après tout. Les moeurs des Capitolins étaient si libérées qu'ils avaient déjà probablement essayé de briser et salir la tendresse de la gagnante.

Mais, malgré ce corps qu'elle leur offrait, Heidi Breckenridge restait éternellement fermée à tout autre rapprochement émotionnel. Il détestait cela. Il haïssait littéralement la manière dont elle avait de subir ces rapports en silence, se laissant manipuler comme une poupée fragile et docile n'éprouvant manifestement aucune satisfaction lubrique. Certes, ses gestes s'avéraient délicats et attentionnés, une indéniable amélioration comparé aux premiers mois de sa mise sur le marché, durant lesquelles elle n'avait été rien d'autre qu'une coquille vide. Et si contre toute attente, la mystérieuse apathie de la vainqueur du district deux l'avait instantanément charmé, elle lui faisait à présent peu à peu perdre la tête. Il savait qu'en achetant une de ses nuits presque hebdomadairement, elle finirait par être capable de le plier à son bon vouloir sans qu'il n'émette la moindre objection. Heidi l'avait ensorcelé par son atonie émotionnelle sans qu'il n'y prenne garde. Si proche de lui et pourtant irrémédiablement inatteignable, la frustration du capitolin troublait son jugement au fur et à mesure que les jours s'écoulaient. Il ne pourrait jamais posséder son esprit.

Parfois, il en devenait fou. Alors, il se mettait à accélérer brutalement la cadence, les claquements réguliers de leur peau évanouissant l'image poétique qu'il avait de leurs ébats sensuels. L'odeur de son excitation féminine ne faisait que l'enhardir davantage, transformant l'homme qu'il était en bête sauvage. Durant ces moments, le capitolin pensait pouvoir lui arracher quelques cris de jouissance pour agaillardir son ego de mâle. Mais à chaque fois, il lui suffisait d'un seul regard pour que l'once d'un remord ne le saisisse, et ne le fasse soudainement ralentir ses fiévreux coups de reins.

Il supposait qu'elle ne le savait sans doute pas. Cette curieuse faculté qu'elle avait d'humaniser le plus barbare de ses clients, envoûtés par cette fragilité et cette douceur à fleur de peau. Elle était bien plus qu'une amante pour eux, Heidi était une confidente aux allures d'ange. Femme-enfant, amante, amie.

Ses bras tremblèrent.

Tout ce qu'il entendait était sa respiration saccadée, et alors qu'il croisait le regard inexpressif de la rousse, il cacha son visage dans le coup gracile de sa dulcinée. Il goûta le parfum sucré de sa peau en sueur, et oublia momentanément la lueur inanimée et fausse qui rendait les yeux émeraudes de la jeune fille si ternes. "tu m'aimes ?" finit-il par murmurer, haletant. Il désirait se rassurer, pensant naïvement qu'elle lui dirait la vérité. "oui, bien sûr." souffla-t-elle au creux de son oreille, le faisant frissonner. Comme pour prouver l'horrible mensonge, Heidi se contracta autour de son membre, et le client émit un grognement sonore.

Elle maniait son rôle de pantin à la perfection.