Red Smith - English titles are for kikoolols [terminée]

Je suis Red. « Red » à cause d’une tâche de naissance au niveau du cœur. Un orphelin abandonné du District Douze. L’orphelinat qui m’a recueilli, dix-sept ans auparavant, n’avait aucune information sur mes géniteurs, et comme il faut un nom de famille pour la Moisson, on m’a affublé du patronyme de « Smith ». Quand bien même je n’aurais aucun lien de parenté avec les Smith de la galerie de mines sud-est numéro 8. Mon âge exact est inconnu : on considère mon anniversaire comme étant le soir où on m’a trouvé sur le pas de porte de l’hôtel de ville.
Je suis un jeune humain mâle d’un mètre soixante-dix aux yeux bruns, maigre, mais musclé et élancé. Remuer la terre m’a taillé un corps sans once de graisse, mais la famine a creusé mes joues, comme j’ai creusé des trous. Une vie à jouir du des bises glaciales d’hiver m’ont taillé la peau. J’ai de la corne aux mains, et je suis légèrement vouté. Le Soleil m’a fait roussir la peau, mais blondir comme des blés mes cheveux normalement bruns.
Le District Douze est loin d’être riche, aussi on m’a baladé d’une famille à l’autre. En général, elle avait besoin d’une main-d’œuvre afin de soulager le travail imposé par le Capitole à leur famille. J’ai fait beaucoup de petits boulots, jusqu’à trouver le poste idéal pour moi. Fossoyeur. Officiellement, je mets les urnes funéraires des gens en terre. En réalité, c’est mon garde-manger personnel en cas de famine : sécurisé de prélever de la viande d’un corps dont il ne restera plus que des cendres ! Et plus y a de morts, mieux je me porte. Mon secret n’est jamais remonté jusqu’au Capitole, même si un ou deux Pacificateurs ont cru que j’étais contrebandier ou rebelle. Je leur ai creusé un trou, à eux aussi. Pas qu’ils me dérangent – en fait, j’aime bien jouer avec le gouvernement. Ils croient être les prédateurs, mais je suis le seul à réellement les manger.
Le frisson de la chasse est ce qui me pousse à vivre. Le monde est tellement ennuyant. Il n’y a que la peur et la douleur – la vôtre, ou la mienne – qui soit attrayantes à mes yeux. Impulsif. Presque pas d’empathie, ni de sentiments. Manipulateur. Sadique. Masochiste. Cannibale à ses heures perdues. Vous l’aurez deviné : je suis un psychopathe. Vous croyiez vivre un cauchemar, jusqu’ici ? Attendez donc de croiser ma route !


Vous voulez en savoir plus sur moi ? Moi, qui n’aime que la discrétion, qui protège avec jalousie mes plus délectables secrets ?
J’ai attendu tellement de temps pour avouer. Avouer ma supériorité à ce monde stupide. Alors, pour vous, exceptionnellement, je ferai une exception. Et après… je vous tuerai. Je ne souffre d’aucun risque.
Mon premier meurtre date d’il y a cinq ans – en janvier 233. Pour vous qui n’êtes pas rapides d’esprit, je calcule pour vous : je n’avais pas encore douze ans. Ma victime était une jeune fille nommée Maria Rose. La famine avait touché le District Douze, comme le reste des pauvres lieux de Panem, avec une violence inégalée. Je n’avais pas encore goûté à la chair humaine, aussi je fis mes premières dents sur sa chair maigre. Toutefois, ce n’était pas la faim qui me poussa au meurtre, cette année-là. C’était la peur de mourir. Maria me menaçait, malgré elle.
Tout remonte à deux semaines plus tôt, fin janvier de la même année. Le professeur de l’école nous avait parlé des limites de la mémoire immédiate, après qu’un autre élève dont le nom n’a pas d’importance se soit plaint de la difficulté – toute relative – de l’apprentissage de ces cours (il s’agissait de se souvenir de quelques vainqueurs des Jeux de la Faim : Skenandore, Blackheart, Hawthorne, Harrigton, Cowhood). Le professeur avait illustré son cours en demandant à la classe de regarder attentivement une série de chiffres, puis de les réciter. Tous les élèves ne purent répéter qu’entre cinq et neuf nombres, et après une vingtaine de secondes, ils les avaient presque tous oubliés. Je fis alors une erreur en étalant ma supériorité mnésique incontestable : je récitai tous les nombres qui avaient été montrés à mes yeux. Je puis vous les dire : 5, 78, 415, 3, 17, 66, 0, 10, 12, 36, 58, 14, 070, 34, 46 et 89. Ma mémoire eidétique sembla attirer Maria Rose – il est probable qu’elle y vit un avantage sélectif face aux dangers du monde : en attirant mes faveurs, elle espérait sans doute pouvoir perpétuer sa lignée avec un avantage cérébral non négligeable (c’est en tous cas ma transcription logique du phénomène que vous appelez « amour »). Quoiqu’il en soit, elle passa le plus de temps possible auprès de moi. En période de famine ! Voyez-vous maintenant où je veux en venir ?
Bon sang, que vous êtes lents.
En « couple », on partage. Or, je n’avais déjà pas grand-chose à me mettre sous la dent, et elle ne m’était d’aucune utilité. Elle m’était donc dangereuse. Il fallut donc que je la supprime, CQFD.
Elle ne souffrit pas longtemps. Je la tuai d’un coup de pierre – polie, pour éviter de suspectes traces de sang, qui aurait alerté les Pacificateurs – à la gorge. Le coup lui broya la trachée, comme prévu. Elle mourut étouffée, et bientôt sa vessie et ses sphincters se relâchèrent. Telle est la mort : sans gloire, ni dignité. Je lui ai bien entendu massé la trachée afin de faire disparaître toute trace de l’acte.
La famine eut raison des doutes de la famille Rose. Le hasard faisant que le fossoyeur était mort au même moment, j’y vis une occasion unique. J’acquis mon indépendance de ma famille d’accueil de l’époque – à leur grande joie, voyant une bouche en moins à nourrir – et obtins un travail définitif. Ce travail est dur, surtout en période de famine, durant laquelle il m’arrive de mettre en terre plusieurs personnes de la même famille en une semaine. Toutefois, c’est, à tout bien y réfléchir, un excellent réservoir à viande. Il suffit d’être discret, de choisir des proies fraîches, et de bien dissimuler les traces prouvant qu’on a déplacé les pierres tombales.
Avant la cérémonie de crémation, je pus ainsi prélever les quadriceps de Maria Rose. Je dus saler la viande, afin de la cacher de Pacificateurs qui n’auraient pas compris pourquoi un simple fossoyeur continuait à avoir de la viande en pleine famine. Il me fallut acquérir du sel contre de l’huile, dont je n’avais que faire, grâce à des tesserae. Je mangeai donc Maria en plein secret. Le District Douze entier n’y vit que du feu.
Ainsi je survécus à la famine de février 233. J’en viens presque à remercier Maria pour m’avoir montré la voie de la survie.
Malheureusement, cette vie morne me pousse parfois à quelques petites… folies. C’est ce qui vous a conduit à moi, n’est-ce pas ? Vous auriez dû rester au Capitole à profiter de votre retraite, inspecteur. Effectivement, j’ai bel et bien tué Seth Orwell et Robert Martin pour le plaisir du meurtre – il n’y a pas d’homme aimable sans vice aimable, ne dit-on pas ? Bien entendu, j’ai également profité de leur chair a posteriori, mais contrairement à Maria Rose et quelques orphelins dont personne ne se souciait, la faim n’était pas le motif premier de mes actes. Seth et Robert étaient de jeunes paysans forts, et j’apprécie les défis qu’offre le combat au corps-à-corps. Je n’ai pas osé tuer Seth en face, mais le fait de l’étrangler avec du fil solide fut tout aussi jouissif que de battre Robert de mes poings.
Vous voulez savoir comment j’ai dissimulé mes traces ? Mais voyons ! Robert et Seth se détestaient, et j’ai laissé le fil chez Robert ! Vos anciens collègues Pacificateurs ont naturellement cru que c’était lui le coupable. Et vu qu’ils ont trouvé Robert dans le fleuve, après les rapides et les rochers, ils n’ont pas cherché plus loin qu’un suicide. Ces fainéants.
Quant à vous, qui aviez remarqué que Robert n’avait pas d’eau dans les poumons, vous auriez dû en parler à quelqu’un. Maintenant, votre propre Taser va faire croire à une noyade dans le lac. Merci d’avoir égayé ma soirée, sachez que votre chair restera intacte. Je ne suis pas un sauvage. Je sais recevoir des invités.


Adieu.