me and the devil (lysk)

Well, I'll never be a lover
I only bring the heat
Company under cover
Filling space in your sheets

Il faisait nuit noire lorsqu’il la congédia. C’était fréquent, qu’il refuse ainsi qu’elle passe la nuit chez lui. Il invoquait tout un tas de raisons ; que c’était risqué si les gens découvraient qu’elle le voyait, qu’il allait la réveiller le lendemain au moment d’aller travailler, qu’elle-même aurait à se lever plus tôt pour aller ouvrir le magasin. Mais elle n’était pas dupe. Elle savait bien qu’il avait tout simplement peur de s’engager un peu trop dans une relation qu’il voulait contrôler. Elle était prête à l’accepter. Pour le moment.
Il prit la peine de l’escorter jusqu’à la porte, et resta quelques instants à discuter avec elle, lui à l’intérieur, elle sur le seuil d’une maison où elle n’avait visiblement pas sa place. Il semblait moyennement intéressé par ce qu’elle avait à lui dire, lançant de temps en temps des regards furtifs vers ce qui se passait dans la rue pourtant déserte, mais cela ne la dérouta guère. Elle était habituée à ce que Tadeusz Ayrs soit distant. Elle était en plein milieu d’une phrase sur l’état déplorable du pauvre gamin asthmatique qui habitait pas loin de chez elle lorsqu’il fourra brusquement la main dans la poche du pantalon qu’il avait pris la peine d’enfiler et en ressortit une poignée de circens qu’il déposa sans cérémonie dans la main de Lyskam. Elle le regarda faire, médusée et passablement insultée par ce que son geste signifiait, mais prit tout de même la peine de regarder autour d’elle à son tour, pour finir par remarquer la présence d’un pacificateur en service, un peu plus loin. Elle attendit que l’intrus ait fini par leur tourner le dos pour restituer à Tadeusz son argent, la mine ouvertement renfrognée.
- Tu n’as pas besoin de me faire passer pour une catin, Tadeusz. Rien ne t’interdit de fréquenter quelqu’un.
- Je préfère ne pas prendre de risque.
- Tu dis toujours ça, comme si on allait me tomber dessus parce que je couche avec un pacificateur.
- Et si c’était sur moi qu’on tombait ?
Elle fronça les sourcils, perplexe, sans réellement comprendre ce qu’il voulait dire par là, sans parvenir à croire qu'il était réellement préoccupé par ça. Elle ne comprenait pas son raisonnement, mais il fallait bien admettre que la logique de cet homme lui avait toujours échappée. Alors elle préféra orienter la conversation vers une question pas tout à fait dénuée de lien avec ce qu’ils venaient de se dire.
- Pourquoi tu me fréquentes ? s’enquit-elle dans un murmure dont le sérieux avait quelque chose d’assez menaçant.
Il ne répondit pas tout de suite, la fixant avec insistance comme s’il espérait trouver une réponse à cette question dans la chevelure ébouriffée de Lyskam.
- Et toi ?
Elle laissa échapper un petit rire incrédule qui se transforma bien vite en un soupir résigné.
- Je te le dirai quand tu seras prêt.
Il va sans dire que Lyskam ne dit jamais à Tadeusz pourquoi elle le fréquentait.

～

Ils vinrent la chercher alors qu’elle dormait encore, un samedi, le jour où elle allait habituellement récolter les ingrédients de quelques uns de ses médicaments. Elle fut réveillée en sursaut par un grand fracas provenant de l’étage d’en-dessous, signe indéniable que l’on venait de pénétrer dans la boutique. Elle sut instinctivement que c’était pour elle que l’on venait, sans être cependant à même de dire pourquoi. Bien vite des pas se firent entendre dans l’arrière boutique, dont les escaliers menaient à son appartement. Elle n’avait toujours pas bougé du lit lorsque deux pacificateurs firent irruption dans sa chambre, la saisissant chacun par un bras pour l’extirper sans ménagement de son lit. Elle ne portait rien d’autre qu’un pantalon de pyjama rapiécé et un pull qu’elle avait grossièrement tricoté pour faire face aux nuits froides comme celle qu’elle venait de passer, et dut se faire trainer jusqu’à l’extérieur pieds nus. Elle sentait des graviers et des épines de conifères meurtrir ses pieds que le froid mettait déjà bien à mal, mais elle était trop occupée à se débattre pour porter la moindre attention à une si risible douleur.
- Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce qui se passe ? Lâchez-moi, pitié, pitié, s’il-vous-plait, qu’est-ce qu’il y a ?
Elle se démenait pour se libérer, répétant en une litanie incessante ses supplications qui ne traduisaient que trop bien sa totale incompréhension. Mais les hommes ne firent que resserrer l’étau autour de ses bras, l’ignorant longuement avant que l’un d’entre eux finisse par ouvrir la bouche, au moment-même où ils atteignirent l’hôtel de justice, sur le côté duquel était érigé un poteau qui servait à appliquer les rares châtiments que l’on se réduisait à infliger au Sept.
- Tu pensais vraiment que tu pourrais voler un pacificateur et revendre ton petit pactole en toute impunité, traînée ?
Elle comprit d’un coup, d’un seul, ce qui allait lui arriver, mais cela n’avait aucun sens. Elle n’avait rien volé, rien, jamais, jamais, jamais. Tout le monde le savait ici, qu’elle était même trop honnête pour faire payer certains de ses remèdes aux plus pauvres du district. Voler était au-dessus de ses forces, comment pouvaient-ils l’accuser d’une chose pareille ?
Elle se débattit une nouvelle fois, enfonçant ses talons dans le sol dans l’espoir de ralentir la progression de son escorte qui l’amenait toujours plus près de ce menaçant poteau.
- Non non non, il doit y avoir une erreur, je n’ai rien volé, je vous jure, pitié. Pitié…
Elle cessa d’implorer lorsque son esprit se mit soudainement à penser à Tadeusz. Où était-il ? Lui pourrait l’aider, il leur dirait qu’ils faisaient une erreur monumentale. Elle se mit à le chercher frénétiquement parmi la foule éparse qui observait la scène avec une curiosité perplexe, comme si la population tout entière était à même de percevoir l’absurdité de la situation, à l’exception des pacificateurs qui ne cessaient toujours pas de la tirer. Elle scruta les alentours à la recherche de ce visage familier durant tout le temps qu’il fallut pour parcourir les derniers mètres qui la séparaient de sa punition, et elle s’obstina à sonder du mieux qu’elle le put les silhouettes les plus proches d’elle tandis que l’un des deux hommes attachait ses poignets au pieu. Elle crut reconnaitre la figure qu’elle cherchait quelque part sur sa gauche, mais ne put s’en assurer car l’un de ses tortionnaires venait de se rendre compte qu’ils avaient, dans leur idiotie infinie, omis de lui retirer son pull, et décida de l’en débarrasser en le tirant d’un coup sec pour le faire passer par-dessus sa tête, laissant pendre lamentablement le bout de tissu le long de ses bras. Elle se retrouva ainsi durant l’espace d’un instant dans l’obscurité, et quand le jour revint, son urgence de trouver Tadeusz fut remplacée par la sensation humiliante d’être indécemment exposée.
Une bourrasque glaciale vint lui picorer la peau du dos tandis que les secondes s’égrenaient, insoutenables, sans que rien ne se produise. Puis le premier homme reprit la parole.
- Lyskam Oakes, vingt-cinq coups de fouet vont vous être délivrés pour avoir dérobé les possessions d’un pacificateur, énonça-t-il d’une voix solennelle qui aurait fait rire Lysk si elle ne s’était pas retrouvée dans une telle posture.
- Je vous jure que je n’ai rien fait ! s’écria-t-elle d’une voix aiguë, tentant de se retourner vers son bourreau.
- Tu accuses le soldat Ayrs d’être un menteur ?
Lyskam se retrouva incapable de répondre, abasourdie par ce qui venait de lui être indiqué. C’était Tadeusz qui l’avait dénoncée. Elle sentit sa respiration s’accélérer et la bile remonter dans sa gorge alors qu’elle était incapable de faire autre chose que de fixer d’un regard vide le bois esquinté qui lui faisait face. La question était simple, claire, limpide, mais elle ne parvenait pas à y trouver la moindre réponse. Pourquoi ? Elle avait beau essayer de réfléchir, clairement, méthodiquement, comme elle avait l’habitude de le faire, elle ne parvint à formuler aucune pensée claire, si ce n’est qu’elle avait été salement utilisée. Elle sentit alors ses muscles, jusqu’alors crispés par la terreur qui l’assaillait, se relâcher, et tout son corps s’affaissa, retenu dans une position à peu près droite par les seuls liens qui irritaient déjà ses poignets.
Le premier coup lui arracha un cri étranglé qui s’éternisa jusqu’au second, mais bien vite elle n’eut plus assez d’oxygène pour continuer à extérioriser ainsi sa douleur. Au fil des assauts, elle sentit ses ongles s’enfoncer dans la peau tendre de ses paumes de main, la déchirant jusqu’à ce que s’écoule un mince filet de sang qui n’avait rien de comparable au flot qu'il lui semblait sentir se déverser entre les lambeaux de peau qui constituaient désormais son dos. Et même si la douleur était insoutenable, même si elle laissait échapper des hurlements étouffés, elle avait la très étrange impression que les coups auraient dû lui faire bien plus mal que cela. Elle se demanda pourquoi, à mesure que le temps passait, la morsure du cuir sur son épiderme semblait être moins virulente. Elle n’aurait su dire si c’était parce qu’elle commençait à perdre toute sensation, si son assaillant était en train de fatiguer ou s'il frappait moins fort parce qu’elle était une femme, il n’empêche que ses lamentations finirent par se réduire à de pitoyables gémissements qui ne cessèrent qu’en début de soirée, après que sa voisine l'eut ramenée chez elle et eut fini de panser ses plaies avec différents onguents puisés dans la réserve de la boutique.