the worst things in life come free to us. (nikolaï)

Une autre année était arrivée. L'hiver avait laissé place au printemps, la neige aux fleurs. Mais chez moi, une autre année signifiait d'autres tesserae. Même en vivant dans un district où les conditions de vie étaient assez aisées par rapport aux autres, les tesserae c'étaient ce qui nous permettait d'avancer. La nourriture qui remplissait nos estomacs, les drenées qui nous permettaient d'avoir de quoi se couvrir lorsque le froid arrivait dans le district, celles qui nous aident à passer le mois en vie. Ce n'était pas la première fois que j'en prenais, ni la dernière, sans aucun doute. N'ayant que 17 ans, il y avait encore l'année suivante. Plus qu'une année, avant d'être libéré des Hunger Games, les Jeux de la faim. Plus qu'une année avant d'être en sûreté. Certes, il y aurait encore mes frères et sœurs, et mes fils dans un futur pas trop éloigné, mais moi, je ne pourrai plus être moissonné. Je serai sauvé de ce jeu morbide et sadique. Mes géniteurs n'étaient pas ravis de voir les chances de me faire choisir comme tribut augmentées, mais c'était nécessaire. Tant que les autres pouvaient profiter de leur vie sans la risquer dans un jeu du hasard macabre et répugnant, tout allait bien. Dmitri, deux ans. Anja, quatre. Klara, six. Nastya, neuf. Roksanna, douze. Gervasii, quatorze. Et Klavdii, seize. Tant qu'ils échappaient à l'horreur des tesserae et de tout ce qui y était lié, tout allait bien. Valeriya avait désormais dix-neuf ans, du coup elle ne pouvait plus être pigée. Elle ne peut toujours pas l'être, d'ailleurs. Elle travaillait, tout comme mes parents, dans l'espoir de pouvoir nous permettre de remplir nos estomacs. C'était une vie difficile, et elle l'est toujours, mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras et laisser à la mort le plaisir de nous emporter. Chacun a son fardeau à porter. Certains plus lourds que d'autres.

Depuis ma plus tendre jeunesse, j'ai appris à la fermer lorsque on arrivait à parler de gouvernement. J'ai appris à exalter la bonté et la puissance du Capitole face aux Pacificateurs, dans le but de leur faire croire que j'étais un adorateur du Capitole. J'ai appris à me renfermer dans le silence lorsque Valeriya prononçait d'une voix fluette et étouffée des propos qui auraient choqué les capitoliens plus sensibles et adorateurs du gouvernement en place. J'ai appris à regarder la question d'un œil neutre, à peser chacun de mes mots. En dépit de mon inexpérience avec la vie, j'ai une façon de voir les choses plus mûre, plus poussée que la plupart des habitants, aveuglés par leur richesse et leurs avantages, ou bien, au contraire, leur pauvreté et la misère. Quoi qui se passe, je ne risque pas de perdre la vie à cause d'un mot murmuré dans une froide nuit d'hiver, au chaud dans une maison chauffée pauvrement, alors que les grelottements secouaient mon corps. J'aurais tout un tas de raisons pour détester le gouvernement. Je vis dans la pauvreté, alors que les habitants de la capitole jouissent de tous les privilèges et profitent d'une opulence sans limites. Je risque de participer à un jeu potentiellement mortel à cause d'une faute commise par des idiots d'il y a une génération, lorsque je n'étais pas encore né. J'ai perdu mon fiancé au cours de ces mêmes jeux. Mais je n'ai jamais viré dans une haine folle du Capitole. Je n'ai jamais commis l'erreur de glisser les mauvais mots. La preuve, je suis toujours en vie à l'heure qu'il est.

« Et c'est comme ça qu'on doit bander un poignet blessé. » Je plie mes yeux, en regardant les mains du vieux docteur s'activer sur un bras en plastique. J'essaye de mémoriser ses mouvements, d'imprimer ses mots dans mon cerveau. Dans la lumière agonisante de la nuit qui approche, une faible chandelle illumine la pièce, en lui donnant un air légèrement lugubre. Une fois le bandage défait, j'essaye de reproduire les gestes effectués auparavant par le médecin, sans y parvenir aussi bien. Vais-je devenir comme lui? Un vieillard qui entraînera un gamin qui se rapproche de l'âge adulte au cas où il ne survive pas à l'hiver? Ce n'est pas vraiment une idée qui m'enchante. Mais l'alternative serait de travailler dans une des nombreuses centrales du District, comme ma sœur, mes parents, mes grand-parents... Personne dans ma famille y a échappé. Mais bon. Disons que la médecine m'attire plus que le nucléaire. Je me frotte les yeux, dans l'espoir de chasser la fatigue qui s'en prend à mes yeux, en vain. Je réprime un bâillement, avant de me lever, en prenant la veste usée jusqu'à l'os que j'avais posé sur une chaise. « Je vais y aller, si ça ne vous dérange pas. » Une question purement rhétorique, bien sûr. Quelle que soit sa réponse, ma famille m'attend. Du coup... « A demain! » Je quitte la lueur de la chandelle, en me faisant aspirer par la lumière quasi absente du jour qui s'achève. Mes pieds me conduisent tout naturellement à travers les rues du Cinq, en m'emmenant jusqu'à chez moi. Mes yeux se posent sur la lune qui commence sa course dans le ciel, en prenant la place du soleil, comme elle le fait depuis toujours. Et comme elle le fera jusqu'à la fin.