Tu veux fuir ... oui ... mais où ? - Rose

Tu marches dans les rues qui te sont si familières, tes pieds remuant la poussière qui est là depuis que tu es haute comme trois pommes. Tout le monde te regardes à ton passage et tu ne peux t’empêcher d’entendre quelques bribes de conversations ici et là : « Tu te souviens, c’est celle qui a perdu son frère il y a six ans, tué par la jumelle de celle qui avait participé aux jeux précédents. » Eh oui. « Elle n’a pas du tout l’air en deuil si tu veux mon avis ! » C’est certain que six ans après, je ne m’effondre plus dans la rue en pleurant sur mon sort. Si c’est ce que tu appelles ne plus être en deuil, d’accord … je ne le suis plus dans ce cas. « En plus, sa mère est une véritable ivrogne. Même qu’elle n’a pas d’emploi pour fournir de la nourriture à sa fille. » Qu’est-ce que vous voulez, c’est des choses qui arrive. Moi au moins je ne dis pas n’importe quoi dans les rues du district trois, à parler dans le dos des gens même si tu sais parfaitement que la personne t’entend. Mais bon, à chacun ses loisirs … La vérité, vous voulez la savoir ? Je m’appelle Rose Illingworth et j’avais seulement dix ans, lorsque ma vie a été chamboulée.

[…]

Tu es assise dans ta maison, devant le petit téléviseur qui trône dans un coin du salon à même le sol et tu regardes. Tu regardes ton grand frère Thom qui participe aux jeux de la faim. Ta mère est derrière toi, à moitié saoule … ou plutôt à moitié consciente. Qu’est-ce qu’elle est stupide. Tu as l’air d’une sans cœur en disant cela. Vous vous dites peut-être qu’elle noie son chagrin de voir son fils unique aux jeux de la faim et que c’est exceptionnel …  tu voudrais bien pouvoir dire que ta mère est un modèle à suivre dans la vie de tous les jours, mais la vérité, c’est que ce n’est pas le cas. C’est pourquoi tu regardes ton frère et que tu espères de toutes les forces que tu possèdes, qu’il revienne vers toi indemne. Oui … tu espères. Tu le vois en compagnie de son alliée, Svethel, dont sa sœur jumelle avait participé aux jeux précédents. Malgré toi, tu as peur pour lui. Après tout, elle a de l’expérience, tandis que lui, il n’en a aucune. Même qu’avant de partir du district, la seule fois où il s’est battu, c’est lorsque que votre voisin Adam t’avait donné un coup de poing en pleine figure parce que tu avais pris un morceau de pain qui traînait près de chez lui. Pendant quelques secondes, tu ne peux t’empêcher de penser : et si jamais il ne revenait jamais ?

Mais tu continues de regarder la télévision. Tu regardes, mais en même temps, tu conserves un coussin devant ta figure, ne voulant que regarder à moitié, car tu as peur. Ton corps entier tremble. Tu ne peux te contenir. Tu voudrais éteindre la télévision et ne plus regarder cette horreur. Tu voudrais sortir de ta maison. Mais que ferais-tu si un pacificateur te voyait, cachée derrière l’une des nombreuses caisses en bois qui longent la maison alors qu’ils savent que les jeux sont en ondes ? Alors que tu te dis qu’il n’y a probablement rien à craindre pour l’instant et que tu enlèves le coussin qui se trouve devant tes yeux, tu la vois. Tu la vois qui pousse ton frère sur le piège qu’ils venaient tout juste de découvrir. Tu vois Thom, ton frère qui était ton monde se faire cruellement tuer par la fille qu’il avait embrassé plus tôt, car oui, tu n’avais peut-être pas vue les images, mais tu avais des oreilles. Il venait de mourir des mains de la fille dont il était tombé amoureux et alors, tes larmes commencèrent à couler tel le torrent d’une rivière et tu ne peux plus les arrêter. Tu pleures, jusqu’à ce que tu sois totalement épuisée et que tu t’endormes.

[…]

Me voilà donc, six ans plus tard et ma vie n’est plus du tout la même. Je continue d’aller à l’école, mais après le départ de Thom … ce n’était pas l’envie qui manquait de tout arrêter et de travailler afin de pouvoir gagner de l’argent. Après tout, la nourriture il faut la payer ! Mais je n’ai pu m’y résoudre, car il me disait souvent que même si le Capitole nous considère comme des animaux, nous n’en sommes pas donc il faut s’instruire. Je continue donc mes études, mais je fais quelques boulots par-ci par-là pour les gens de mon district. Bon … ça ne paie pas beaucoup, mais c’est mieux que rien ! Mon caractère n’a pas changé d’une miette par contre, mais au lieu d’être des sourires vrais et sincères, ce sont plutôt que des masques que je me mets en permanence, ne souhaitant pas  montrer à tous à quel point je suis morte à l’intérieur. C’est peut-être cliché de dire ça, mais je me sens comme si on avait arraché une partie de moi, celle de mes souvenirs avec Thom – autant ceux que j’ai de mon passé que ceux que j’aurais pu avoir avec lui dans le futur. Et comment fonctionner correctement lorsqu’il te manque une partie de toi-même ? Vous avez donc compris que je n’ai pas encore finie mon deuil et ce n’est certainement pas les allées et venues de Svethel dans mon district qui sont pour m’y aider. Car oui, elle ose tout de même venir jusque chez moi une fois par an ! Par contre, je l’y suis tout de même reconnaissante car elle nous apporte un peu d’argent et de la nourriture à ma mère et moi. Surtout que ma mère ne fait rien afin de ramener un peu d’argent. Par contre, même si Svethel nous aide, il faut tout de même que je prenne plusieurs tesserae par année, ma mère gaspillant tout sans réfléchir. Je m’en veux de dire cela, mais parfois je me réveille en me disant que j’aurais préféré que ce soit ma mère qui soit morte au lieu de mon frère. Après tout, même lorsque Thom était en vie, elle ne faisait rien. Sinon, concernant Svethel, je suis prise entre deux feux. Je voudrais la détester de toutes mes forces mais en même temps … tu pourrais tout faire pour survivre. Mais … sans elle mon frère serait toujours à mes côtés et alors, je ne serais plus aussi seule que je peux me sentir en ce moment … Alors je me contente d’essayer de l’éviter le plus possible et de contrôler le combat constant qui se passe en moi. Survivre ou lâcher prise ? Détester ou pardonner ? Étudier ou travailler ? Montrer mes réels sentiments ou utiliser les masques ? Quand ou qui fera en sorte que tes lèvres dessinent un véritable sourire ? La vie était tellement plus facile avant …