(D1) Pearl - enconstruction

Le sourire amusé de l'hôtesse à la vue de son bras levé lui fit froid dans le dos. Le regard des milliers de personnes se retournèrent aussitôt sur elle, et son visage apparut sur l'écran géant et, certainement, sur des centaines de milliers d'écrans dans tout Panem. Elle pouvait sentir tous ces yeux peser sur elle, la scruter dans les moindres détails et menacer de faire flancher sa maigre détermination. Comme aucune autre main ne se leva, la voix de l'hôtesse s'éleva à nouveau pour lancer d'un air enchanté :
"Je vois que nous avons une volontaire ! Viens, mon enfant..."
La gorge nouée, le cœur battant, Pearl s'avança jusqu'à l'estrade. Elle entendait clairement les murmures qui la suivaient ; elle était petite et frêle pour son âge, douce et sage, effacée pour certains. Qui aurait cru qu'elle avait envie de participer aux Jeux ? Ou plutôt, d'y être tuée ? Personne, et le pire, c'était qu'elle-même n'en avait aucune envie. Seulement, la jeune Denton n'avait pas le choix : si son père n'avait pas été là pour la forcer à lever la main, c'était tout comme. Elle craignait suffisamment sa colère pour ne pas chercher à la provoquer, et donc, se contenter de lui obéir...

"Tu as fait le bon choix."
Encore aujourd'hui, ces quelques mots résonnaient dans sa tête, alors que le compte à rebours résonnait dans toute l'arène. Le bon choix... celui de se sacrifier pour racheter la réputation de sa famille, redorer le nom de ses parents. Personne n'espérait qu'elle s'en sorte : pas ses parents, pas son mentor qui passait plus de temps à conseiller son co-tribut, un garçon solidement bâti de seize ans, pas les sponsors ou même le Capitole. Et certainement pas elle. Du moins, jusqu'à il y a peu. 15. Elle savait ce qu'on attendait d'elle, une fois le jeu lancé : courir à la Corne, y retrouver les Carrières qui "la protègeraient". Mais pendant combien de temps, au juste ? Combien de temps attendraient-ils avant de la tuer froidement parce qu'elle n'était qu'un fardeau, ou parce que, au contraire, elle devenait dangereuse ? Jusqu'à maintenant, elle ne s'était pas imaginée seule dans l'arène - être dans un groupe avait quelque chose de rassurant, même si elle savait pertinemment où cela la mènerait. Mais, au milieu de ces immeubles, elle changea soudainement d'avis. Elle ne comptait pas mourir sans se battre. 5... 4... 3, 2, 1, 0 Sans même chercher à rien attraper, la jeune fille partit à l'opposé de la Corne pour s'élancer dans le dédale de ruelles qui s'étendait autour d'eux.

"Dites-nous tout, Pearl, comment avez-vous réussi à survivre dans l'arène ?"
La Vainqueur des Sixièmes Jeux portait une robe blanche joliment nacrée, en honneur du prénom qu'on lui avait donné. Les muscles de ses joues commençaient à tirer sérieusement, à force qu'elle sourie, comme on le lui avait conseillé. Sourire, et répondre aux questions. Mais sourire, surtout.
"Eh bien... Pour tout avouer, je me pose la même question. J'ai... encore du mal à y croire." lança-t-elle finalement avec, elle l'espérait, humour. On répondit par des rires à sa phrase et le présentateur la relança alors :
"Récupérer cette arbalète vous a beaucoup aidé..."
Aussitôt, Pearl revit le visage tuméfié du tribut qui avait été tué par l'éboulement, l'angle étrange que formait son bras... Et le soulagement énorme qu'elle avait ressenti en voyant l'arme intacte au milieu des pierres. Elle se souvint très clairement avoir dégagé son corps, non pas dans l'espoir de le sauver, mais pour dépouiller le cadavre du tribut. C'était le premier mort qu'elle voyait vraiment, et étrangement, elle n'a rien ressenti de particulier, ni peur, ni dégoût, ni même de peine pour la personne qui avait vécu ou sa famille. Juste, la joie immense de récupérer une arme, et quelques provisions.
"Oui. Trouver cette arbalète m'a sauvée, on peut le dire.
- En effet, puisque grâce à elle, Pearl a abattu pas moins de quatre tributs ! Plutôt impressionnant ! Vous en aviez déjà maniée une avant ?
- En fait, non. Pas avant l'entraînement au Capitole, du moins.
- Alors vous méritez nos applaudissements puisque vous vous en êtes remarquablement bien sortie, et nous avez offert un spectacle digne de ce nom. Souvenez-vous..." annonça-t-il à l'audience avec un sourire charmeur.
Une fois de plus, une vidéo passa, montrant cette fois-ci, ceux qui étaient morts de la main de Pearl. De là-haut, elle n'avait pu que deviner les carreaux transperçant la chaire de ses victimes, le sang gicler et l'un d'eux agoniser pendant de longues minutes. Les images ressemblaient à un mauvais cauchemar - celui qu'elle se passait en boucle depuis sa sortie de l'arène. Un goût acide s'insinua dans sa bouche, à mesure que les morts défilaient. Elle retint une grimace quand, finalement, le dernier tribut apparut à l'écran. L'arbalète ne lui avait pas été d'une grande aide, pour celui-ci, ni pour le traquer, ni pour l'abattre. Mais cela serait visiblement l'objet d'une autre vidéo... Ravalant les souvenirs qui envahissaient déjà son esprit, Pearl s'efforça de sourire aux caméras avant de faire ce qu'on lui demandait : commenter ce qui avait été montré à l'instant.

Eclairé de mille feux, quand les districts devaient se plier à un couvre-feu strict, le Capitole s'étalait dans toute sa splendeur, dans toute sa décadence. A perte de vue. Comme à chaque fois, cette immensité la mit mal à l'aise. Personne ne peut rivaliser avec nous, et avec notre grandeur, semblait dire chacun des bâtiments. Aimez-nous, mais craignez-nous, semblait crier chaque point de couleur criarde qui arpentait les rues. Soudainement, une main effleura sa nuque, la sortant de sa contemplation avec un frisson.
"Dis-moi... A quoi tu penses ?" murmurèrent des lèvres tout contre son oreille.
Je pense à ces gosses qui vivent leur première nuit dans l'arène. Je pense à tous ceux qui sont morts aujourd'hui, à ceux qui vont pleurer pour s'endormir, se réveiller la faim au ventre, et toujours craindre leur mort prochaine. Je pense à l'emprise que vous avez sur nous; et plus que tout à celle que le Capitole exerce sur moi. Je pense que je répugne ton odeur, abhorre ton sourire et ses dents trop blanches, hait le contact de ta peau. Je pense que tu le sais au fond, et que c'est peut-être même ce qui te plait. Je pense à mon district, à ceux que je côtoie tous les jours, à ceux à qui je tiens. Je pense que je n'ai pas le choix. Je pense que j'aurais mieux fait de mourir dans cette arène...
"A rien en particulier... C'est juste que le Capitole m'a manqué" mentit-elle finalement dans un souffle, avant de se retourner, un léger sourire sur les lèvres. "Et surtout, tu m'as manqué" ajouta-t-elle avant de l'embrasser, parce que c'était ce qu'il attendait d'elle.