but the fire is coming, so i think we should run. (seth)

THEY WERE KIDS THAT I ONCE KNEW. La candeur se dessinait sur leurs traits, la joie de vivre résonnait dans leurs éclats de rire. C'était l'âge d'or, de l'ignorance. Celui où aucun des deux enfants n'était encore en mesure de comprendre ce qui se passait autour d'eux, et derrière les murs de la capitale. Ah, oui, c'était un monde merveilleux. Un monde dans lequel l'un comme l'autre avait une foi aveugle pour leur nation, gavés d'une insouciance que le confort capitolien leur apportait depuis leurs premiers jours de vie. La nourriture, l'argent, la culture. Oh non, ils n'ont jamais manqué de rien, tous les deux. Même l'amour que la famille leur portait à l'époque semblerait aujourd'hui excessif. C'était une vie presque trop bonne, une existence royale, et deux gosses nés et façonnés par le Capitole et ses artifices. Jusque là, rien de bien extraordinaire, en somme.

Mais, les années ont passé. Elles se sont écoulées, lentement, leur laissant enfin le loisir d'ouvrir les yeux. De pouvoir regarder autour d'eux, et de considérer la situation. Seth ne comprenait pas. Seth était perplexe. Seth ne captait plus rien, alors que toutes ses phrases – ou presque – commençaient et terminaient par un agaçant « pourquoi ». Il était jeune, encore, à l'époque. Il n'avait pas toutes les cartes en main, et pourtant, il avait déjà l'impression de tout comprendre au monde. C'était sans compter que sa vision était plus que faussée par les propos de ses parents, ou de son entourage en général. En définitive, même si son ciel s'était assombrit avec les années, le plus jeune Selwyn n'était pas encore en mesure d'accorder toutes les nuances d'un monde qui l'avait créé.

Seth n'était pas stupide, il était même intelligent. Mais beaucoup trop naïf, et beaucoup trop confiant envers ses parents et son président. Ce n'était pas une question de pouvoir, mais plutôt de vouloir assumer ce qui se passait autour d'eux. Non, ils ne vivaient pas dans un monde parfait. Est-ce qu'il aurait été le crier haut et fort sur tous les toits ? Bien sûr que non. Il aurait eu trop peur de froisser sa mère. Non, il n'aimait pas regarder les jeux. Est-ce qu'il aurait été l'avouer ? Bien sûr que non. Il aurait eu trop peur de vexer son père. Non, ils ne méritaient pas de vivre comme cela, pendant que d'autres crevaient pour eux. Est-ce qu'il aurait été le balancer ? Bien sûr que non. Il aurait eu trop peur de décevoir sa sœur. C'était ainsi que fonctionnait le cadet de la famille, de toute façon ; en fonction des autres. Il préférait subir silencieusement, plutôt que de faire du mal aux siens en dénonçant toutes ces vérités affolantes.

C'était l'âge d'or oui.
C'était.

I DON'T WANT YOUR MONEY, I DON'T WANT YOUR CROWN. Les repas de famille. C'était la chose la plus merveilleuse, mais aussi la plus cruelle que l'être humain ait inventé, répétait sans cesse Seth. Il détestait cela. Car au final, il ne parlait jamais. Il se contentait d'écouter entre deux plats, et il s'était rendu compte avec le temps que, à chaque fois, les mêmes conversations revenaient. C'était toujours la même chose, à chaque fois, chaque année. C'était usant, pénible. Il n'avait même plus envie de venir et pourtant, sa mère ne lui laissait pas le choix. Les jeux, l'ambition, la politique, l'argent, étaient les sujets des hommes. La mode, les potins et les recettes de cuisine, les sujets des femmes. C'était déconcertant, et le jeune Selwyn n'avait qu'une seule envie ; aller s'enfermer dans sa chambre, lire, jouer du piano, dans le plus plat silence possible. Ces gens lui faisaient tourner la tête. Ils le dégoûtaient de tout, et de la vie d'abord. Il les écoutait d'une oreille distraite se flatter, se faire quelques confidences entre hypocrites. Il les détestait. Tous.

« Bien, allons Seth, tu ne réponds pas à ta tante ? » Non. Il n'avait même pas entendu la question, et son regard se perdait encore dans le vague. Il hochait presque mécaniquement la tête, sans même être au courant de cette fameuse interrogation. « Hein? » Ah, ça y est. Il sortait enfin de son petit monde. Il leur faisait ce plaisir, au moins une fois au cours de ce repas des plus pénibles. « Amethyst te demandait simplement comment tu allais. » Tu restes effroyablement neutre ; pas un sourire sympathique, pas un regard chaleureux. Juste le personnage terne que tu es devenu avec le temps, qui s'efforce de ne pas saigner des oreilles en vue des conversations Ô combien philosophiques tenues par la famille. « Je vais bien. » Je vais bien, mais j'espère secrètement qu'on va tous crever d'un incendie. Je vais bien, mais, oh, par pitié, taisez-vous, j'ai le cerveau qui fond. Je vais bien, mais sur l'instant, j'ai carrément envie de me taillader les poignets, de m'ouvrir les veines avec le couteau à beurre. « Oui, je vais bien. » La femme aux cheveux violets sourit, et il fit le grand, l'immense effort de sourire à son tour. C'était faux, factice. Autant que ses paroles, ses petites phrases préfabriquées qu'il sortait comme un automate au fil de cette pseudo conversation.

« Alors les enfants, qu'est-ce que vous voulez faire plus tard ? » Ah. Ils y étaient, enfin, ce moment tant redouté. Si Phaedra répondait avec enthousiasme en déballant ses projets d'avenir, lui, du haut de ses dix-sept ans, n'osait rien dire. « Et toi Seth ? » Ah. Il n'avait donc pas le choix. Reposant son verre, il reprenait alors de cet air détaché qu'il lui collait à la peau depuis le début de cette journée. « Médecine. » Oui, moins il utilisait de mots, mieux il se portait. « Oh, quel excellent choix. » Entamait une de ses tantes, alors que Seth ignorait sa mère et son regard pesant. « Sais-tu, j'ai quelques bons amis dans certains hôpitaux. » Suggéra un oncle, alors que l'adolescent fronçait les sourcils. Il n'en avait rien à faire en réalité. « Ah, merveilleux. » L'amertume lui collait au palais, ses propos se faisaient fades, sans intérêt. Comme cette conversation. « Mais en fait, je ne pense pas rester dans un hôpital. Au début, peut-être, mais vraiment pas longtemps. » C'est étrange comme soudainement, il semblait avoir envie de donner un peu plus de son temps dans ce sujet. Comme il semblait retrouver un intérêt particulier, pour la première fois depuis le début de ce repas. « En réalité, j'aimerais être médecin itinérant, ou clandestin, je ne sais pas trop comment on peut appeler ça. Mais j'aimerais faire le tour des districts pour aider les gens, à défaut d'être égoïste et égocentrique comme la plupart des personnes autour de cette table. » C'est un léger sourire qui accompagnait ses propos. Sa mère soupirait. Son père fulminait. « Et c'est reparti... » Souffla brièvement madame Selwyn. Oui, et le pire, c'était que si on essayait de l'arrêter, ce ne serait que le début d'un long débat. Mais comme il s'y attendait, personne ne dit rien. Le silence retomba, pesant, avant que quelqu'un n'ose rattraper la conversation. « Qu'entends-tu par égocentrisme Seth ? Je veux dire, c'est ainsi que la société est fondée, sur un principe de classes, et c'est très bien ainsi. C'est peut-être malheureux pour les plus démunis, et cela te semble peut-être injuste, mais tu ne peux pas cracher dessus. » Il avait envie de rire devant la remarque de son oncle. « J'entends par-là que, est-ce que une seule fois dans votre merveilleuse existence trop parfaite, vous avez considéré les problèmes de notre société ? Est-ce que vous avez déjà regardé autre chose que votre reflet ? Permettez-moi d'en douter, rien qu'à en juger par vos conversations insipides sur la dernière couleur à la mode, ou la plus récente innovation vinicole. » On aurait pu entendre une mouche voler. Seth ne mâchait pas ses mots, il ne l'avait jamais fait. Pourquoi prendre des gants avec eux ? Ils n'en valaient pas la peine. « Tu vas trop loin Seth. » Interrompit son père. Oh, il était bien loin de le couper dans son élan. « Honnêtement, est-ce que l'un d'entre vous est capable d'affirmer qu'il est utile à la société ? » L'homme tapait violemment du poing sur la table, et pourtant, le garçon ne cillait pas. « Seth, tu sors maintenant. » Très bien, il se levait. De toute façon, il en avait presque fini. Une expression dégoûtée étirait durement ses traits, alors qu'il secouait la tête. Il avait un peu de cette folie au fond des yeux, un peu de colère dans la voix. « à vivre grassement comme des vieux cons, vous finirez bien par le payer un jour, et j'vous jure que les autres, ceux qui triment jour et nuit pour votre petit confort, ils ne seront pas sur la réserve ce jour-là. » Un éclat de rire, presque nerveux, et constatant que son père avait atteint sa limite avant qu'il ne s'en prenne une, le cadet fit volte-face de manière dédaigneuse, quittant la pièce, et la grande maison, par la même occasion.

Non, il n'était peut-être pas normal.
Et de toute façon, il crachait sur leur normalité.

WELL, I FUCKED UP, AGAIN. Il regardait de ses grands yeux bleus le sang sur ses mains. Et il tremblait. De temps à autres, il oubliait de respirer. Il avait une migraine qui lui sciait le crâne, mais il ne s'arrêtait pas. Il ne s'arrêtait jamais de frotter ses mains, l'une contre l'autre, dans le vide, en espérant que le sang disparaisse comme par magie. Il regardait autour de lui, quelques fois que quelqu'un l'ait repéré dans la pénombre de cette ruelle. Non, non, non, il n'était pas de ceux qui prenaient les vies. Lui, il était censé aider les gens. Censé les sauver, pas les assassiner sauvagement au milieu d'une ruelle. Et il continuait à frotter, frénétiquement, avec la fâcheuse impression que plus il frottait, plus le carmin s'étendait sur sa peau claire. Alors il frottait plus fort, quitte à s'arracher les paumes jusqu'à la chair. Il se griffait l'intérieur des mains, tout autant que le dessus ; il voulait désespérément faire disparaître tout ce sang. Par moments, il jetait un coup d'oeil inquiet à l'homme en uniforme, étendu par terre. Non Seth, il ne va pas se réveiller, il est déjà mort. Et le hoquet le prenait à la gorge, irrégulier.

Pourquoi est-ce qu'il avait tué ce pacificateur ? Il n'en avait lui-même aucune idée. Enfin, si, peut-être. Il n'en savait plus rien. Il avait tué un homme, c'était tout ce qui comptait sur l'instant. Oui, mais il l'avait tué pour aider un gosse. Certes, mais l'homme n'en était pas moins mort. Trop d'informations se confondaient dans son esprit, lorsque la seule chose qu'il voulait faire, c'était fuir. Partir loin d'ici, en priant pour que personne n'ait assisté à la scène. « Pardon, pardon, pardon. » C'est tout ce qu'il trouvait à dire, en boucle. Des macchabées, il en avait vu, Selwyn. Certainement plus que bien des personnes, en trente ans d'existence. Mais tuer quelqu'un, non, ça, il ne l'avait jamais fait. Il récupéra le couteau, le jetant dans sa besace avant de s'enfuir en courant. Où allait-il ? Il n'en avait aucune idée. Loin de cette partie du district trois. Loin de ce cadavre qui lui donnait envie de vomir, à chaque fois qu'il portait son regard dessus. Il enfonçait ses mains au fond de ses poches, espérant dissimuler les tâches de sang qui pourtant, perlaient en gouttes sur sa joue. C'était affreux ce qu'il venait de faire, tout ça à cause d'un fichu mal-entendu, un quiproquo qui n'avait pas lieu d'être. Et pourtant, il avait enfoncé cette lame dans l'abdomen du pacificateur à plusieurs reprises, avec une violence qu'il ne se connaissait pas.

Qu'allait-il faire maintenant ? Il n'en avait aucune idée. Il s'était toujours débrouillé pour sortir des pires ennuis du monde, et pourtant, là, c'était à peine s'il savait quoi faire. Il allait rentrer au Capitole. Ou, non, peut-être rester. Ou bien partir et trouver sa sœur. Oui, sa sœur, elle était pacificatrice, elle saurait quoi faire, non ? Oh, pauvre Seth, il était paumé, il tournait en rond, c'était à s'en arracher les cheveux. Il faisait les cent pas continuellement, avec la ferme envie de se frapper la tête contre le mur. Il continuait d'espérer que cet après-midi n'était qu'un mauvais cauchemar, et qu'il allait se réveiller, là, brusquement. Il continuait d'espérer, vainement, puisque la vérité lui sautait à la gorge.

Lui aussi, il était comme eux.
Il n'était qu'un monstre.