+ OPEN WOUND (pavel)

Voilà un an que ma mère est morte. D'un coup, comme ça, elle disparaît de ma vie sans prévenir. Me laissant pour seul souvenir un gigantesque trou juste au niveau du coeur. Elle me manque, c'est indéniable. Un petit garçon de sept ans à peine, obligé de vivre seul avec son père. Interdiction de pleurer, obligation de sourire qu'il me disait toujours. Alors c'est ce que j'ai fais. Je me suis créé cette carapace quasi-indestructible qui me permet de tenir, d'être soi-disant fort. A l'intérieur, je pleure. Mais personne n'en sait rien, je reste de gamin joueur et taquin que tout le monde aime dans le district. Mais si, vous savez, le fils du fabriquant de filets. C'est ce que j'entends chaque jour, et à la longue, ça lasse. Mon avenir est tout tracé : je prendrais la relève de l'entreprise familiale, si je ne suis pas choisit comme tribut avant. Je dis ça parce que... Quelle chance a-t-on face à des carrières surentraînées ? Moi je n'en vois aucune, surtout quand on regarde le gosse taillé comme une allumette que je suis. Certaines personnes trouvent drôle de m'appeler le "gringalet". C'est pas méchant, je sais. Mais j'espère qu'un jour je serais assez fort pour leur montrer à tous. Pour leur montrer que je ne suis pas qu'une chétive brindille que le vent emporte d'une bourrasque, mais que je suis un tronc solide résistant au plus puissant des cyclones. Faut y aller maintenant Pavel. Elle, c'est Cléo. Ma meilleure amie depuis toujours. On a été élevés ensembles, on a tout partagé jusqu'au biberon limite. Ok, j'arrive. On devait se rendre à la plage avec sa mère. Elle, à l'inverse de moi, elle n'avait plus de père, et ce depuis qu'elle est née (il est mort un mois avant sa naissance). Ce qui nous a d'autant plus rapprochés bien entendu. Je m'élançais à sa suite. Nous n'avions pas beaucoup de chemin à faire puisque la plage était en face. J'aimais nager. J'aimais l'océan et les lacs. Ça me donnait une impression d'éternité. Le premier arrivé à l'autre rive à gagné. Et bien sûr, elle releva le défi, même si un kilomètre nous séparait de ladite rive.

Je revenais d'une partie de pêche particulièrement difficile, avec peu de prises et surtout des poissons agressifs. Je ne savais pas ce qui les prenais ces derniers temps j'ai j'avais failli y perdre un doigt. Tout ça pour ces connards du Capitole. Tu en as mis du temps fiston ! J'avais encore la respiration saccadée de mon effort, et j'enfilais dans le même temps ma tenue de travail, avant de m'installer à côté de mon père. Les poissons ont fait de la résistance ce matin. Il sourit. C'est la saison des amours. Déjà ? Il fallait dire que j'avais l'impression qu'un moi seulement s'était écoulé depuis la dernière saison. Le temps passait si vite... Il fallait que je fasse attention ! Et oui, déjà. Il y eut un silence durant lequel on n'entendit plus que le bruit de la corde passant dans les mains de mon père. J'en pris un bout, et ensemble nous continuions notre tâche habituelle, à savoir faire des filets de pêche. Au bout d'un moment, je brisai le silence : A quoi bon faire tout ça, papa ? Il resta impassible, continuant son ouvrage. Pour pouvoir se nourrir bien sûr. Je soupirai. Tu sais très bien de quoi je veux parler. Il soupira à son tour. Nous n'avons pas le choix, Pavel. Donnons-nous ce choix ! Que leur devons-nous au juste, hein ? La vie j'imagine... La belle affaire. Tu sais très bien que le Capitole nous exploite ! Je m'étais levé, furieux, le filet retombant au sol. Fils, ne dit pas ça si fort ! Je n'ai pas peur ! Et bien moi si. Je n'ai pas envie de te perdre. Pas après ta mère... Voilà dix ans qu'elle était morte et il ne s'en remettait toujours pas. Moi non plus d'ailleurs. Mais ces paroles eurent bon de me calmer, et je m'asseyais de nouveau à ses côtés, reprenant mon dur labeur. J'avais bien fait, puisqu'un pacificateur passait justement devant notre atelier.

Le monde est sale. Panem est sale. Le Capitole est sale. Je suis dégoûté de la vie. A quoi bon s'entêter à souffrir comme ça, à regarder toutes ces atrocités d'un oeil impuissant ? Morts, sacrifices, mensonges, trahisons, sadisme, humiliations, torture, prostitués, souffrance. Oui, tout n'est que souffrance dans ce bas monde, tout est sale. Rien ne vaut la peine d'être vécu désormais. Pavel ! Tout sauf peut être ça. Pavel, je suis contente de te voir ! Un sourire naquit bien trop vite sur mon visage trempé par l'eau salée et la sueur. Moi aussi Cléo. Avec Cléo, on ne s'est pas quittés depuis notre enfance. Toujours là l'un pour l'autre. Tu voulais quelque chose ? Elle parut troublée. Oh euh... Non, je voulais juste être avec toi. J'étais vraiment stupide de rougir comme ça. Ok... J'arrête de bosser cinq minutes alors. L'air soudain inquiet, elle s'exclama : Oh je voulais pas te déranger tu sais ! Je souris. Tu ne me dérange jamais. Et je ne mentais pas. Cléo était bien mon unique raison de vivre, le seul être qui me retenait de ne pas tout foutre en l'air, de ne pas aller provoquer le Capitole et ses toutous de pacificateurs avant de mourir dignement. Elle seule me rattachait à  cette misère et éclairait les noirceurs de mon coeur. Je pris une de ses mains avec un sourire et la serrai tendrement. Sa tête alla se glisser d'elle même au creux de mon coup et nous attendîmes là, sans voir le temps nous filer entre les doigts, jusqu'à ce que le Soleil ne se cache derrière l'horizon humide, et que la rive où nous étions soit plongée dans la nuit la plus totale. Je n'avais rien rapporté ce soir là. Rien d'autre qu'un sourire qui valait bien tous les poissons du monde.