- inside the sickness of my head -

Elle court. Elle court rapidement en esquivant les branches. Elle court comme si sa vie en dépendait. Elle court parce qu’elle ne sait faire que ça. Et aussi parce qu’on la course et que sa vie en dépend vraiment. Son souffle devient rare et elle tombe rapidement dans une impasse. Quand l’heure de la moisson a sonné et qu’il faut recueillir ce qu’on a semé, elle est là. Telly –et comme tous les enfants du Onze- décide de travailler dans les champs et les vignes. La vie au district onze est dure pour une enfant de douze ans. Elle osait récolter les fruits de son voisin pour se nourrir. Cette fois-ci, elle s’était faite découverte. Dès le moment où le propriétaire débarqua pour récupérer ce qui lui était dû. Il s’écria en s’apercevant que l’arbre était dénudé de tout fruit. Plus rien. Pas même le moindre noyau pour planter à nouveau. Il vit alors les feuilles éparpillés au sol et il décida de les suivre jusqu’à ce qu’il voit une petite fille courir avec un panier trop lourd pour elle. Un panier qui la ralentit lourdement. Sans hésiter, il se met en tête de la rattraper mais même avec cinq lapins sur les épaules, Telly est toujours capable de le tracer. Ses pas sont légers ce qui permet de les enchaîner à une vitesse folle. Le poids ne fait que la retarder. Malgré tout, elle court partout parce qu’elle doit s’échapper. Elle court parce que si elle se fait prendre, l’homme derrière elle plantera sa tête sur son tronc et récupérera ce qui lui appartient. Le rythme de son cœur s’accélère, elle regarde à droite puis à gauche. Bloquée. Les arbres sont trop grands pour les contourner et avec le panier rempli de raisins, elle ne peut pas grimper sur l’un d’entre eux. Cul-de-sac. Elle recule jusqu’à coller un buisson qui délimite le terrain des vignes. Son visage est effrayé, elle sait ce qui va suivre. L’homme s’avance d’une démarche imposante, prêt à se saisir d’elle et l’étrangler à mains nues. Elle respire bruyamment et son cœur bat encore plus vite. Et elle lâche son panier qui s’écroule par terre. C’est la fin. Elle ferme les yeux puis elle entend une voix. Une voix qu’elle connait. Une voix qui se veut rassurante pour elle. Une voix qui convint l’homme de la laisser partir si elle lui cédait ses fruits. Paniquée par la situation, elle était enfermée dans sa tête où le seul son qu’elle parvenait à entendre était les pulsations de son cœur. Ainsi, celui qui la poursuivait récupéra son panier et les fruits qu’il contenait avant de s’éloigner. Ce n’était que l’ombre de son passé à présent.

« Je n’ai pas éduqué une voleuse. » La voix se rapprocha et avec la lumière du soleil, elle ne parvenait qu’à voir une silhouette floue. Mais cette voix, cette voix, elle la reconnait. Son père, toujours là pour la sauver de ses misères. Elle accouru dans ses bras, les larmes aux yeux. Elle retrouvait un rythme cardiaque régulier et sa panique s’estompait tout comme sa peur. Elle n’était pas morte. Mais elle n’était pas sauve non plus. Les Jeux l’attendaient. Ils l’attendaient toujours. « Tu m’as plus appris à courir vite et à être plus maline que mon adversaire. » C’était vrai mais ça n’avait jamais inclus le vol. Elle sourit, un grand sourire aux bords de ses lèvres parce qu’elle est heureuse de le voir là, de le voir lui sauver les fesses. Comme toujours. Elle serait perdue sans lui. Sans son père. Elle n’a jamais eu de mère et son frère n’avait pas l’étoffe du parent modèle. « Je ne t'ai pas appris à voler. » Elle haussa les épaules en se dégageant des bras de son père et elle leva la tête vers lui, avec un de ses yeux fermé et l’autre ouvert malgré le soleil. « Ah ça je l'ai appris toute seule, merci de me le rappeler. » Rétorqua-t-elle avec légèreté, ce qui fit rire immédiatement son père. En vérité elle savait que c'était ce que son frère faisait pour l'aider à se nourrir. Elle ne faisait que le copier. Celui-ci récupéra doucement son sérieux et s’accroupit à la hauteur de sa fille pour lui donner une leçon de moral. « Tel, tu sais ce qu’on fait aux voleurs dans le District 11 ? » Elle secoua la tête en signe d’ignorance. Pour elle ce n’était pas la première chose sur laquelle elle se renseignait. Rien que vivre ici était dangereux. « On les exécute sur la place publique à la vue de tous. » Ajouta-t-il en écoutant son silence. La jeune fille écarquilla légèrement les yeux, il n’oserait pas. Si ? Elle savait ce qui l’attendait à l’avenir si elle venait à le refaire. « Ne vole plus jamais les récoltes des autres et encore moins celles du Capitole. Je ne veux pas te perdre toi non plus. » A l’instar de son frère, son père ne l’avait jamais blâmée pour le décès de sa mère. Morte le jour de son accouchement, Telly n’a jamais eu la chance de connaître sa mère. En vérité, c’était celle qui en pâtissait le plus même si elle faisait des efforts pour ne pas le montrer. Son père la prend dans ses bras à nouveau et l’étreinte dure plus longtemps que la première. Une étreinte étouffante, celle d’un père qui veut protéger sa fille. Mais il sait qu’un jour il lui sera enlevée.

Telly sait. Elle sait toujours. On essaye de la protéger, de la garder innocente. Mais elle sait ce qui va se passer. Elle était bien trop maligne pour qu’on lui serve n’importe quel mensonge. Elle savait ce qu’il avait fait et quel serait son châtiment. Elle se rendit sur la place publique, cachée par les spectateurs et sa petite taille, elle se dégagea de la foule. En voyant qu’elle voulait voir ce qui allait se passer, la foule se dégagea pour elle. Eux aussi ils savaient. Ils savaient qu’elle méritait de connaître la vérité. Elle arrive aux côtés de son frère qui a les yeux en larmes. Il étouffe ses sanglots, elle peut l’entendre. Seulement, elle reste forte. Elle ne s’autorise aucune larme, pas en public en tout cas. Elle ne voulait pas que la dernière vision de son père avant de mourir soit celle de ses deux enfants en pleur. Cependant, elle n’y arrive pas. Ses lèvres tremblent et une larme glisse lentement le long de sa joue droite. Elle l’essuie rapidement avec sa manche et elle s’efforce de sourire alors qu’à ce moment-là, toute la peine du monde l’envahit. Elle voit son père arriver sur la place publique. Aucun adieu ni au revoir. Elle est condamnée à avoir la surprise en même temps que le District 11. Son seul adieu se cache dans son sourire. Un sourire forcé qui dit qu’elle essayera. Elle essayera de survivre et de se battre, qu’elle arrêtera de voler et qu’elle vivra honnêtement, qu’elle supportera son frère et qu’elle lui apportera son seul réconfort. Son père l’aperçoit et il esquisse à son tour un sourire en guise de remerciement. Elle peut entendre « Merci ma fille. » résonnait dans ses oreilles.

Entouré par les pacificateurs et menotté, on lui passe la corde au cou. Et là on la tire. On tire le bras de Telly pour qu’elle se tourne, pour ne pas que la gamine de douze ans n’ait à vivre ce spectacle. Elle secoue son bras fermement pour qu’on la lâche. Elle veut voir. Elle veut comprendre pourquoi son père ne rentrera pas ce soir. Elle veut observer l’atroce sort réservé aux voleurs. Ceux qui veulent nourrir leur famille comme il a tenté de faire. Et elle veut être là pour son frère. Elle lui attrape la main et celui-ci la serre fort. L’homme condamné monte sur un escabeau et l’objet disparait. Dans ce moment d’horribles souffrances, elle sent sa haine monter. Le Capitole n’aurait jamais su qu’il venait de créer une enfant en colère. Telly plisse les yeux. La scène est affreuse. Il se débat de toutes ses forces mais la corde a eu raison de lui. Et il cède. Son père n’est plus. Il est parti et pour de bon cette fois-ci. Une autre larme tombe sur sa joue mouillée et la foule s’estompe. Elle disparait petit à petit. Il n’y a plus rien à voir maintenant. L’homme est mort.  Elle lâche la main de son frère et elle soupire. Ils étaient seuls. Complétement seuls, sans plus personne pour s’intéresser à eux.

L’enfant enragée se rend dans les bois. Trois ans se sont écoulés depuis l’exécution de son père mais sa rage ne se calme pas. Elle devient cette enfant colérique à qui on a tout retiré. Pas de parent, pas de foyer, pas d’argent, pas de nourriture. Elle se débrouille par elle-même. Telly a quinze ans aujourd’hui. Le trente novembre est là mais ça ne lui fait ni chaud ni froid. Elle a perdu goût à toutes ces choses il y a bien longtemps. Tout ce qui l’importe maintenant c’est de survivre. Trouver de la nourriture et du bois pour se réchauffer. Ils vivaient en foyer maintenant. Leur vie d’avant n’avait jamais été une belle vie mais c’était mieux que ce qu’ils subissaient maintenant. Il n’y avait personne pour s’occuper d’eux. Qui voudrait de deux orphelins ? C’était plus de bouche à nourrir. Elle avait alors décidé de s’affirmer par elle-même. Lorsque Melchior atteindrait la majorité, alors ils pourraient tous les deux partir de là et essayer de vivre un peu. En attendant, elle devait apprendre à s’affirmer et à prendre les choses en main. Elle savait que son frère continuait de voler les réserves du Capitole malgré les avertissements qu’elle lui avait lancé mais elle, elle décida de chercher des herbes et racines mangeables où personne ne pensait jamais s’aventurer : la forêt. Elle cueillait ce qu’elle savait reconnaître. De la flore sauvage résidait dans ce district et en tant qu’habitante du Onze, elle se devait d’être calée en flore et agriculture. Honte à elle sinon.

Alors qu’elle ramassait des racines comestibles et des feuilles médicinales, elle vit un lapin passer devant elle. Il était rapide et sournois. Aucune inquiétude, elle l’était aussi. La seule arme qu’elle avait sur elle était une faux qu’elle avait « emprunté » le temps de ses cueillettes. Arracher les fleurs à la racine était mauvais pour le bulbe qui pouvait mourir, il fallait faucher les tiges si on voulait que ça repousse. C’est ce qu’elle faisait. Elle fauchait puis elle revenait. En suivant le lapin avec sa faux à la main, elle pensait à la manière dont elle pouvait bien l’attraper. Puis Telly empoigna son arme et se jeta sur l’animal. Ce dernier en se sentant menacé, bondit d’un endroit à un l’autre si bien qu’elle prit ça comme de la nargue. Elle se releva avec ses habits pleins de boue et elle ne se découragea pas. Elle pouvait y arriver. Elle attrapa l'arme qu'elle avait en main et elle le lança en sa direction. La faux n'est pas allée bien loin, juste à quatre mètres d'elle sans même effrayer l'animal. Telly manquait de force et de pratique. Elle n'était pas comme l'un de ces enfants du District 7 qui apprenait à couper du bois ou comme ceux du District 9 à labourer des terres. Elle ne savait que cueillir des fruits et reconnaître les herbes médicinales. Elle était loin de savoir chasser et pourtant, son instinct de survie voulait qu'elle le sache sinon c'est une autre nuit avec le ventre vide qu'elle passera. L'enfant du Onze ramassa son outil de travail et s'affala  contre un arbre. Elle pouvait entendre son ventre gargouiller. Et elle pariait que celui de son frère créait ce même son dans son estomac. Elle leva la tête et l'arbre qui lui donnait de l'ombre possédait de beaux fruits dont elle n'arrivait pas à retrouver l'origine. Elle grimpa aisément dans l'arbre et y marcha comme sur de la terre, avec une telle aisance. Aucune nausée ou vertige, dans une autre vie, elle aurait pu être un écureuil. Elle attrapa un de ces fruits sans nom et elle l'examina. Il était dur et légèrement lourd. Était-ce un gland ? Elle le lance pour l'attraper à chaque fois, histoire de s'habituer à son poids puis elle l'envoie sur le lapin qui le reçoit en pleine tête. Elle s'assied à califourchon sur la branche solide et attrape un deuxième fruit de la même espèce pour le lancer sur le lapin. Celui-ci se retrouve légèrement assourdi après s'être mangé une dizaine de fruit comme ça. Elle descend de sa branche avec autant d'habilité que lorsqu'elle est montée et elle récupère sa faux. Elle brandit l'objet et discrètement, elle donne un coup sec sur le crâne de la boule de poil. Son sang gicla sur son visage et une pensée sanguinaire lui traversa l'esprit. Était-elle condamnée à faire ça pour le restant de ses jours ? Tuer tout ce qui bouge dans la forêt pour se nourrir ? Elle aurait pu continuer à demander des tesserae mais elle en avait déjà énormément à son nom. Elle n'allait pas risquer sa vie éternellement. Elle devait apprendre à grandir et trouver un moyen par elle-même. Une autre pensée un peu plus chaleureuse la réconforta. Ce soir, ils mangeaient de la viande. Ce soir, ils parvenaient à se nourrir.