robin des voix ▲ (RYSCEA)

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On m'avait souvent qualifiée d'étrange. D'irréaliste. Après tout, le nombre de jeunes filles prêtes à grimper le long d'une cheminée d'usine simplement pour sentir le vent contre son visage n'était pas foisonnant, dans les environs. Le District Six était connu pour cela, cette sorte de rejet naturel de toute étrangeté ; ce n'était pas pour rien que l'on assistait depuis quelques mois à un sentiment d'agacement, voire de haine pousser au fond de l'âme de plusieurs pauvres du coin. J'étais bien placée pour y assister, n'ayant jamais vraiment quitté ce quartier ouvrier qui faisait la fierté de Panem tant que l'on ne le voyait pas à la télévision. N'empêchait que c'était ici que les plus grandes gloires du Capitole avaient été bâties, du moins tant que l'hiver ne se faisait pas trop rude et évitait de dévorer la main-d'oeuvre, ce qui était plutôt fâcheux. En réalité, peu importe où l'on mettait les pieds, on pouvait découvrir que le district était sur le bord de l'effondrement. Il ne suffisait pas d'être particulièrement brillant pour s'en rendre compte, mais quiconque avait un œil légèrement aiguisé ne pouvait nier la vérité. Un mort sur la route - de faim, même si la cause officielle était de pneumonie -, ou encore une bagarre entre un gosse de riches et une bande de voyous affamés. Habituellement, ce genre d'affrontements se résultait en conséquences tragiques, mais les Pacificateurs qui arpentaient les rues se contentaient de fermer les yeux et de faire régner un semblant d'ordre, ou du moins une impression. Au Six, ils n'étaient pas du genre à se mêler de la justice, préférant ne porter que le blason du Capitole pour nous rappeler qu'au fond, c'était eux, les chefs.

J'avais grandi dans cet atmosphère, bien que les tensions ne se soient intensifiées que tout récemment. Une petite maison de coin de rue, dévorée par un arbre et au toit affaissé dès les premières neiges. Lorsque la saison froide sonnait à notre porte, nous nous contentions d'isoler ce que nous pouvions de la maison avec des draps, des planches, espérant que nous n'aurions pas besoin d'aller une énième fois demander asile au foyer communal pour nous héberger durant les quelques mois à venir. C'était sans l'aide de ma mère ; celle-ci était complètement absorbée par son travail, travail peu glorifiant bien que le plus ancien du monde, du moins à ce que l'on racontait. Elle arrivait à nous faire subsister, mais uniquement quand elle ne s'en rendait pas compte, sans quoi elle risquait de nous accuser de lui voler son argent et nous risquions gros. Nous étant mon petit frère et mon humble personne ; tous deux nés de clients d'absinthe de notre génitrice, nous n'étions en réalité reliés par le sang que de moitié. Cela n'interdisait pas un amour fraternel véritable de nous unir, et était loin de nous empêcher de nous entraider lorsque notre mère ou l'un de ses clients devenait un peu violent. Je l'aimais beaucoup, même si j'avais de la difficulté à l'exprimer ; il était le pilier de notre famille, celui qui s'était sacrifié pour aller chercher un travail et combler le vide que notre doyenne laissait autant en nous que dans la maison. J'aurais voulu l'aider - sincèrement -, mais à mon âge, je n'étais pas prête à assumer mes responsabilités. Encore moins celles des autres ; il me fallait vivre, vivre là où personne n'avait eu le loisir tout au long de ma généalogie. J'allais vivre pour deux, pour cent, pour mille.

Mais le sentiment de débordement ne touchait plus uniquement les rues mal famées du district, non. Quelque chose au fond de mon esprit s'agitait, une sorte d'impatience et d'agacement, un inconfort pernicieux. À chaque coup que je prenais, à chaque gifle reçue par mon frère. À chaque viol sur ma mère. À chaque repas sauté, à chaque hiver difficile. La petite créature frémissais, et c'était d'une petite voix doucereuse qu'elle chuchotait à mon oreille :

« Change cela. »