gisele ⊹ je pensais pas qu'on puisse autant s'amuser autour d'une tombe.

« Rufus Breckenridge, tu n'es qu'un imbécile. Un sombre, un stupide, un cruel imbécile. » Voilà ce qu'elle avait brûlé de lui jeter au visage, voilà ce qu'elle aurait pu lui dire si elle avait eu plus de courage. Au lieu de cela les mots qui se bousculaient dans sa tête une minute plus tôt restaient maintenant coincés dans sa gorge. Elle était incapable de s'élever contre ces yeux pleins d'une détresse résignée. Il l'attira avec poigne entre ses bras alors que les larmes lui montaient aux yeux mais, à la place de s'y blottir comme elle aimait si souvent le faire, elle serra les poings devant elle et tambourina de toutes ses forces dans la poitrine et les flancs du jeune homme. Ses coups semblaient à peine l'effleurer alors qu'elle y mettait toute son énergie. Elle avait besoin d'évacuer sa colère et son angoisse. Il encaissa cet excès de violence sans broncher jusqu'à ce que Gisele, épuisée et esseulée, tombe à ses genoux.

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Le district préparait l'arrivée de la grande gagnante avec effervescence et une immense fierté qu'était bien loin de partager Gisele. En vérité, elle la répugnait, la dégoûtait. La jeune femme traînait des pieds, était d'humeur maussade voire carrément morbide et tous ceux qui la connaissaient la fuyaient comme la peste mais elle ne leur en voulait pas, bien au contraire. Parler était tellement douloureux depuis quelques jours...

Elle ne voulait pas la revoir. C'était pour elle qu'il s'était porté volontaire, pour elle qu'il avait tué et pour elle enfin qu'il s'était lui-même porté le coup fatal. De là à dire qu'elle l'avait tué, il n'y avait qu'un pas, et Gisele était toute prête à le franchir. Pouvait-elle pardonner à la jeune femme de lui avoir volé l'amour de sa vie ? Car c'est indéniablement ce qu'elle avait fait, même sans en être consciente, ce qui était d'autant plus difficile à reconnaître. Rufus l'avait préférée à elle-même. Elle avait été idiote de croire qu'il pouvait sortir vainqueur de ces Jeux. Il ne s'y était engagé que pour une seule raison, pour une seule personne. Heidi. Et il avait réussi au delà de toute espérance. C'était un beau sacrifice mais il était trop douloureux et Gisele ne pouvait pas l'accepter, encore moins le comprendre.

Tout d'un coup on entendit un bruit tonitruant et quelques secondes plus tard le train apparût dans la gare. L'assistance bouillonnait. Lentement, très lentement, une porte s'ouvrit puis une autre et lorsqu'enfin Heidi sortit au grand jour, au même moment, au milieu d'une foule en liesse, une ombre s'éclipsait discrètement, se dérobait à la vue de tous.

Plutôt que d'applaudir à contre-cœur et de saluer la personne qu'elle avait le moins envie de voir en ce bas monde, Gisele s'éloignait. Elle avait mieux à faire. D'un pas déterminé, elle se rendait sur le sépulcre qu'elle avait elle-même improvisé dès qu'elle avait appris la mort de Rufus. Il n'y avait pas de corps sous la terre, juste une fleur séchée qu'il lui avait donnée avant de partir pour l'abattoir, mais c'était la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher et c'était mieux que rien. C'était la seule chose matérielle qui lui restait de lui et elle savait désormais qu'elle n'aurait jamais rien de plus. Elle s'agenouilla dans la terre humide, indifférente à l'argile qui souillait ses vêtements, ses chaussures.
Là, elle inspira une bouffée d'air comme si c'était la dernière puis s'élança. Elle avait tant de choses à lui dire.   « Je ne crois pas en grand chose mais aujourd'hui je prie pour toi Rufus Breckenridge. Où que tu sois. »

Elle écarquillait les yeux à s'en faire mal, comme si cela allait empêcher les larmes de déferler. C'était stupide, personne après tout n'était là pour la voir, pour la juger. Il n'y avait qu'elle. Elle était seule avec ses souvenirs et ses rêves piétinés.

«  J'ai cru que tu m'aimais, que tu croyais en nous. J'aurai pu tout abandonner pour toi, tu n'avais qu'à le demander. Mais tu n'as rien dit. Mais tu n'étais pas prêt à en faire autant. Mais tu es parti en sachant que tu ne reviendrais pas. Ça fait tellement mal. Auprès de toi je voyais le monde en plus beau, en plus grand, mais mon regard ne portait pas plus loin que mon ombre. »

Elle ramassa une poignée de cette terre rouge et effritable si caractéristique de son district et la saupoudra lentement au dessus de la tombe de fortune.

« Mais je te le jure, je ne serai plus jamais amoureuse. »







Elle avait pris ce train le cœur gonflé de promesses et d'espoirs, pensant qu'on lui offrait là une chance de tout recommencer à zéro, elle qui avait pris un si mauvais départ dans la vie. Après tout, son existence s'était jusque là résumée à une longue série d'échecs qui commençaient à envenimer son esprit, ses pensées, au point de la faire douter d'elle-même: elle avait été amoureuse, mais n'avait pas su garder son fiancé auprès d'elle et il était parti pour un voyage au bout de l'enfer. Il n'avait même pas essayé de lui faire croire à son retour, il savait qu'il ne reviendrait pas. Elle avait échoué. Enfant carrière plutôt douée, elle s'était bien gardée de se porter volontaire lors des moissons et alors qu'elle avait toujours été fière de vouloir se protéger ainsi, même cela était devenu trouble pour elle. N'était-ce pas ce que l'on attendait des enfants du 2 ? Qu'ils soient courageux et consciencieux face à la mort ? Gisele, elle, n'y parvenait pas, n'y était jamais parvenue. En vérité, elle supportait de plus en plus mal d'y être confrontée. Là aussi elle avait échoué.
Ne lui restait plus que ce métier dans lequel elle s'était engagée tête baissée, se donnant toute entière, corps et âme, pour l'honneur bien entendu, comme si revêtir le blanc était pour elle le meilleur moyen de rendre grâce au Capitole, mais également parce que c'était le seul chemin qui s'ouvrait à elle désormais. Fut un temps où elle avait rêvé d'une famille, mais cette époque était révolue.

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