Ladies, your viewing figures just went up • G. Breyton

ROSE BREYTON

« Coupez », lance le réalisateur. Je remets mes cheveux en place et lance un regard à mon partenaire. Mon mari. Et dire que nous sommes les coqueluches de Panem. Enfin, du septième art. Depuis que nous avons officialisé notre relation, les contrats pleuvent. Nous allons de comédie romantique en thriller, toujours avec des personnages follement amoureux. Et nous n’avons pas vraiment à jouer la comédie. Je suis la plus heureuse des femmes. Si seulement je pouvais tomber enceinte. Je joue tellement souvent des rôles de jeune-femme timide, chaste, que je ne peux pas grossir, sous aucun prétexte. Je pourrais tout envoyer valser, mais je ne le fais pas. Peut-être parce que j’aime ça. Être belle, éternellement. Avec un corps de rêve, aussi longtemps que possible. Mais lorsque je pose une main sur mon ventre, l’envie d’y voir grandir un petit être augmente. Mes doigts caressent quelques secondes le tissu en-dessous de mon nombril. Je me rends compte que je pourrais porter un enfant. Je vais bientôt avoir trente-cinq. Il me sera bientôt impossible de porter la vie, et le temps passe si vite. Alors, qu’est-ce que j’attends ? Est-ce que mon corps de rêve me sera encore utile dans une poignée d’années, quand je ne serai plus assez jeune si assez belle pour les studios ? Et puis, mes yeux s'embuent soudainement. Je cours vers les toilettes et m’appuie contre le lavabo ; les larmes coulent sur mon visage sans que je puisse les contrôler. J’ouvre le robinet à tâtons et plonge mes mains dans l’eau froide, puis plaque mes paumes sur mes joues rouges. Un sanglot étouffé par le dos de ma main, que je pose contre ma bouche. Tremblotante, je me laisse tomber au sol. Et puis, j’entends un cri. Un cri de bébé. J’essuie mes larmes et cherche sa provenance dans la pièce. Un bébé ici, c’est impossible. Encore une voix dans ma tête, probablement. Alors que je me redresse, un autre cri résonne dans la pièce. Cette fois, je parviens à localiser sa source. La poubelle, dans le coin. Lorsque j’ouvre le couvercle, l’enfant gémit et remue les doigts. J’approche ma main prudemment, puis l’effleure, comme un objet fragile. Lorsque je le prends enfin dans mes bras, il saisit les plis de ma robe et me regarde dans les yeux. Je lui souris, et ses lèvres se tordent dans une mimique adorable. « Bon, d’accord… Tu peux peut-être devenir mon bébé ? »

GAVIN BREYTON

« Tu ne vas pas m’en vouloir pour ça ». Jenna me lance un regard assassin, avant de reporter son attention sur sa nourriture. Je soupire et regarde autour de nous. Les autres couples nous regardent fixement. Manque de bol, c’est la Saint Valentin ; une scène de ménage en plein restaurant se remarque facilement. Je me penche vers elle et chuchote. « D’accord, je t’ai trompée, mais je te l’ai dit, c’est le principal ». Elle laisse s’échapper sa fourchette et son poing s’écrase sur la table. Je grimace. Ce n’était peut-être pas la chose la plus intelligente à lui dire. Mais je ne vois pas pourquoi elle m’en veut encore. C’était il y a plusieurs mois déjà, même si elle ne l’a découvert que très récemment – merci, les tabloïds. J’avais bu, et j’avais fini la nuit avec quelqu’un d’autre qu’elle. Mais ce n’était même pas sérieux entre nous, à l’époque. Je n’avais donc pas grand-chose à me reprocher. Alors que je suis sur le point d’ajouter que j’avais fait les tests nécessaires pour m’assurer que je n’avais aucune maladie contagieuse, elle lève les yeux vers moi. « Quel est son nom ? ». Je réprime un rire et détourne le regard, comme je fais toujours quand je suis mal à l’aise. « Tu ne peux pas me demander ça, voyons ». Jenna ne me quitte pas des yeux. Je sais qu’elle attendra des heures s’il le faut. J’expire. Je sais que ça ne lui servira à rien, de savoir tout ça. À part la rendre plus malheureuse, je ne vois pas ce que ça changera. « Sean ». J’ai à peine le temps de voir le coup partir. La gifle retentit dans la salle, et les discussions s’arrêtent. Quant à ma fiancée, elle se lève et jette sa serviette sur son fondant au chocolat. « Plus d’un an de relation et tu viens me dire que tu es homosexuel… que tu m’as trompée avec un homme », s’écrie-t-elle, alors que je saisis ses mains. « Je ne suis pas homosexuel, Jenna ». Une seconde gifle vient s’écraser sur ma joue. Je n’ai pas le temps de la retenir, et la porte du restaurant claque derrière elle. Je sens les regards braqués sur moi. Tous attendent une réaction. Mais après tout, je ne suis qu’un acteur. Je joue. « Les relations sérieuses, je vous jure », dis-je en souriant de toutes mes dents. Quelques éclats de rire résonnent dans la salle. Quelques femmes semblent même subjuguées par la découverte de ma véritable sexualité. J’adresse un clin d’œil à l’une d’elles. Il est grand temps de décamper.

AH, THE FAME…

« De nombreux habitants se posent des questions sur votre orientation sexuelle »,  me lance le présentateur avec un grand sourire. J’entends des murmures et des rires dans le public. On dirait le procès d’un gamin qui a volé les cookies d’un autre. « J’ai cru comprendre, oui », réponds-je sans aucune gêne. Certaines femmes gloussent légèrement, et je leur adresse un regard amusé. Je vois que tout le monde s’attend à une grosse révélation. Mon interlocuteur pose une main sur mon épaule, m’obligeant à reporter mon attention sur lui. « Oui ? », dis-je comme si de rien n’était, et la foule explose dans un nouvel éclat de rire. « Vous étiez avec une femme pendant des mois, mais vous avez été vu en compagnie d’un homme, récemment ». J’acquiesce d’un petit mouvement de la tête. « On ne contrôle pas ses sentiments », dis-je. Le public se tait soudain comme un seul homme, si bien que je dois réprimer un rire pour qu’ils comprennent que je plaisante. « Non, plus sérieusement, j’aime les femmes ». Ils me regardent tous, comme s’ils étaient soulagés par ma révélation. Les mœurs sont tellement débridées dernièrement, au Capitole, qu’ils sont rassurés par ce traditionalisme. Mais alors que le présentateur s’apprête à reprendre la parole, j’ajoute trois petits mots. « Et les hommes ». Certaines personnes montrent leur indignation. D’autres s’en amusent. Des garçons de l’assistance semblent soudain me porter un intérêt tout particulier. « Et bien » reprend l’animateur, visiblement dans une situation délicate. « Vous allez faire beaucoup d’heureux ». Un sourire s’étale sur mes lèvres. « Je n’en doute pas ».