~ CRYING LIGHTNING.

Jo-Beth poussa la porte de la petite chambre plongée dans le noir, faisant apparaitre un rai de lumière dans la pièce. Elle s'assit sur le rebord du lit, et une tête blonde émergea de sous les couvertures. Alors ça y est, c'est aujourd'hui ? Question rhétorique, comme pour se persuader que ce n'était qu'un rêve. Comme un espoir que Jo lui dise que ce n'était qu'un cauchemar. Pourtant, la rousse ne put que hocher la tête, et prendre la main de sa petite sœur. Lola venait d'avoir douze ans, l'âge de participer à sa première Moisson. Son nom n'était inscrit qu'une seule fois, mais ça restait la fois de trop. Jo-Beth se leva du rebord du lit pour ouvrir les rideaux, inondant ainsi la pièce d'une lumière claire. En ouvrant la fenêtre, une douce chaleur emplit la pièce. Une journée chaude et ensoleillée, en opposition avec l'état de son cœur. Ravagé et tempétueux. Et si j'étais choisie ? Jo laissa sa main glisser depuis la fenêtre jusqu'à sa hanche, et elle se retourna vers Lola, un sourire rassurant dessiné sur ses lèvres roses. Mais ce sourire, tellement pitoyable, il s'affaissa à peine eut-elle commencé à parler, et sa voix se mit à trembler. Va prendre ton bain, c'est le grand jour. Lola sortit du lit, se planta fièrement sur ses petits pieds blancs, et plongea son regard de la couleur de l'azur dans les yeux de sa grande sœur. Elles avaient les mêmes yeux. Mais vraiment, Jo, qu'est-ce qu'il se passera ? Jo-Beth fit signe à sa sœur de filer dans la salle de bain, et alors que cette dernière se retourna pour quitter la pièce, la rousse imprima son image sur sa rétine. Ses longs fils d'or, chutant doucement sur ses épaules comme de la poussière d'étoile. Son pas gracile et fragile. Son petit corps pâle de poupée en porcelaine. Puis elle tourna dans le couloir. Jo-Beth sortit de l'armoire une petite robe blanche, toute neuve, achetée pour l'occasion. La rousse sourit légèrement en repensant à ce jour. Elles s'étaient exprès rendues au centre-ville, avec un peu d'argent, et elles avaient passé l'après-midi à glousser devant les vitrines et à essayer des robes. La joie légère qu'elle avait ressenti se jour-là lui semblait loin, en comparaison à l'angoisse mordante qui lui serrait les entrailles. Tu sais ce que tu dois faire si Lola est tirée au sort. Lola. Toujours Lola. La gentille et jolie Lola, alors que Joan est tellement sauvage. Les parents Lowry avaient toujours préféré Lola. Ses jolies cheveux blonds. Son joli sourire. La preuve. Entre leurs deux filles, le choix était rapidement fait. Jo-Beth avait haï sa sœur pour ça. Longtemps. Mais elle avait grandi. Oui, je sais. Madame Lowry quitta la pièce, et Lola entra la seconde d'après. Jo-Beth commença à lui tresser les cheveux avec des mains agiles, pendant que la petite blonde fixait son reflet dans le miroir d'un air anxieux. De quoi vous parliez ? Jo leva les yeux vers leur reflet. Elles étaient si différentes. La rousse sourit à leur image dans le miroir. Rien.

[...]

Et puisse le sort vous être favorable ! Des applaudissements retentirent, puis le silence se fit sur l'assemblée. Jo-Beth chercha du regard sa petite sœur, mais quand elle la trouva enfin, elle remarqua qu'elle fixait ses pieds. Alors la rousse détourna le regard pour se concentrer sur l'hôtesse qui sautillait de joie sur l'estrade. Alors que elle, elle avait l'impression qu'on avait coulé du plomb dans ses entrailles. Elle avait la tête qui tourne, le sang qui battait ses tympans. On était dans le deux, et il y aurait sûrement des carrières pour se porter volontaire à sa place. Il y en avait toujours. Enfin, presque toujours. L'hôtesse plongea lentement, langoureusement sa main de la boule de verre, et sembla prendre un plaisir tout particulier à faire attendre les jeunes du district, dont l'angoisse embrouillait le cerveau. Enfin peut-être. Lola Lowry ! A ce moment là, même le prénom de sa sœur lui semblait être un son étranger à ses oreilles, un son désagréable et inconnu. Et tout ce que Jo-Beth trouva à faire, ce fut de se recroqueviller, de plaquer ses mains sur ses oreilles, et d'essayer d'oublier où elle se trouvait. Elle aurait tellement voulu que tout disparaissent. Puis sa voisine lui donna une tape sur l'épaule, et elle se releva à temps pour voir sa sœur grimper sur l'estrade, un air courageux sur le visage. Et alors que Lola lève son regard bleuté, ses orbes azures rencontrent celle de sa sœur comme un appel au secours. Les ombres dansent.
Vacillent.
Jo aimerait s'avancer, se porter volontaire, sauver sa sœur, mais ses pieds refusent d'avancer, son regard se trouble, et alors qu'elle veut crier ne sort de sa gorge qu'un son étouffé. Une peur sourde l'enveloppe tout entière, une peur stupide, une peur lâche. Applaudissez nos courageux tributs des 23ème Hunger Games ; Lola et Arès ! Comme plongée dans l'eau froide, Jo comprit enfin la fatalité de ses paroles. Bousculant les autres filles, elle se jeta dans la ligne de Pacificateurs, en criant comme un animal blessé, des larmes salées coulant sur ses joues roses. Lola ! LOLA ! Et quand les portes de l'hôtel de justice se fermèrent dans un écho sec et fatal, Jo-Beth comprit qu'il était trop tard.

[...]

Aides-là, je t'en supplie. Larmoyante. Suppliante. Jo-Beth faisait peine à voir, avec son visage rougi par les larmes, ses yeux brillants, des sanglots sourds s'échappant de sa gorge. Un clair-obscur flagrant devait le sourire d'Arès, son air fier et ses yeux hautains. Il n'était pas comme Lola, une pauvre petite chose perdue dans la mort, la douleur, la couleur des Jeux. Arès était un gagnant, ça se voyait dans ses yeux. Il ne sauverait pas Lola. Mais peut-être lui permettrait-il de survivre quelques jours. Ou de mourir dignement. Mais il ne répondait rien, il se contenta de fixer Jo-Beth de son visage fermé, de ses yeux clairs comme de l'eau de roche. Elle aurait tellement voulu qu'il lui réponde, qu'il lui fasse un signe qu'il avait compris. Rien. Rien qu'un vide de sentiment, comme un vide d'air. Arès, aides-là, s'il te plait, aides-là à mourir dignement. Et alors un Pacificateur l'attrapa violemment par le bras pour la faire sortir. AIDES-LA ! Et quand la porte se referma sur son visage impassible, Jo-Beth réalisa qu'il n'avait rien promis. Absolument rien. Il ne s'était pas engagé à la protéger comme elle l'avait espéré. En vain. Jo s'avança alors jusqu'à la pièce dans laquelle était confinée sa petite sœur. La porte s'ouvrit alors sur ses parents au visage plein de larmes. La rousse se demanda alors s'ils auraient pleuré, si c'était elle qu'on aurait envoyé dans l'arène. Pensée égoïste d'une grande sœur lâche. Le visage de sa mère tourna de la tristesse au dégoût en quelques secondes, et sa mains fine s'abattit sur la joue de sa fille ainée avec la violence d'une flèche. Elle lui empoigna le bras avec toute la force qu'elle pouvait, et laissa exploser une colère aigre. Elle ne lui parle pas, elle dégueule des mots sales, des mots qui font mal. Tu devrais prendre sa place ! Mais qu'est-ce que tu as foutu ?! T'es vraiment bonne à rien ! Tu nous a pris pour des cons ?! C'est toi qui devait partir ! Jo-Beth ne répondit pas, mais elle avait mal. Tellement mal, comme si des milliers d'aiguilles transperçaient son cœur brisé. Elle savait qu'elle avait commis une erreur cuisante, qu'elle avait trahi sa sœur et qu'elle serait maintenant répudiée par sa famille. Et elle n'avait même pas le droit de s'excuser auprès de sa petite sœur. Madame Lowry traina la rousse dans le couloir avec une force désarmante, quand elle entendit la voix de sa sœur résonner à travers la porte. JE NE T'EN VEUX PAS, JO ! JE T'AIMERAIS TOUJOURS !

[...]

Ils étaient de retour, lui et son air fier. Autour de lui, la foule massive du district qui l'acclamait. La fierté du district ; beau, charismatique, intelligent, on lui trouvait toutes les qualités. Mais au milieu de ces admirateurs, il y avait Jo-Beth. Le cœur noir de haine, noir de peine. Et rien n'aurait pu réparer son petit cœur en miette. Il l'avait tuée, sans scrupules, sans remords, sa jolie petite poupée blonde. Jo n'oublierait jamais ses cheveux d'or flottant autour de son visage alors que la vie la quittait lentement. Elle n'oublierait jamais la vie qui quittait ses yeux bleus si clairs, son expression figée à jamais comme un pantin glacé. Elle lui avait demander de l'aider un peu, peut-être, de lui permettre de mourir dignement, et sans en avoir conscience. Sauf qu'après ce coup de couteau, elle avait attendu des dizaines de minutes, trop douloureuse, avant que la vie ne s'éteigne définitivement dans ses yeux. Sa Lola, elle avait vu la vie la quitter. Et à ce moment, Jo aurait tellement voulu être là, avec elle, lui tenir la main, lui caresser les cheveux. Mais elle n'avait pu que pleurer toutes les larmes de son corps, sangloter, crier devant son écran, seule dans son nouvel appartement. Et le voir là, souriant, celui qu'elle avait imploré, ne faisait ressentir qu'une haine sourde et dévorante ; cette même haine qui la poussa par une impulsion électrique à courir, briser la barrière de Pacificateurs, et laisser s'abattre toute sa rage sur le beau visage d'Arès. Salaud ! Elle avait douze ans ! DOUZE ANS ! Son petit poing pâle s’abattit sur la joue d'Arès avec une force dérisoire, et un Pacificateur l'attrapa violemment, lui coupant le souffle. Jo-Beth s'affaissa comme une poupée de chiffon dans les bras de Pacificateur, qui la reposa sur le sol avec une délicatesse étonnante. Assise sur le sol, elle laissa les larmes couler sur ses joues, et pleura bruyamment. Tu l'as assassinée, ma petite Lola. Elle ne méritait pas de mourir comme ça, monstre. Quelqu'un assena alors sur le crâne de Jo un coup au moins cent fois plus fort que celui qu'elle avait donné à Arès. Et elle sombra.

[...]

Le bruit d'une porte qui s'ouvre, et Jo sursaute, l'oreille aux aguets, terrorisée. Des bruits de pas résonnent, avec un petit rire et la rousse se lève les yeux écarquillés de terreur. Quand Lola fait irruption dans la pièce, Jo-Beth cherche à se cacher derrière une chaise de son nouvel appartement, tremblant comme une feuille, les mains plaquée sur les oreilles. Elle entends cependant Lola s'assoir sur la chaise en ricanant. Laisse-moi. LAISSE-MOI !!! La rousse repoussa alors violemment la chaise pour aller se réfugier sous la table. Sanglotant, se balançant d'avant en arrière, elle conjura en une litanie sa petite sœur de s'en aller. Alors, on ne reconnait pas sa Lola ? Elle s'était matérialisée sous la table, son sourire dément plaqué au visage, faisant reculer Jo-Beth dans un cri de désespoir. NON ! NON ! NON ! Ce n'était pas sa Lola. Elle avait les mêmes cheveux blonds, les mêmes yeux bleus, mais ce sourire fou, ce n'était pas elle. Elle portait toujours la tenue de l'arène, et une tache rouge sombre s'étendait au niveau de son ventre, là où Arès avait planté son couteau le premier jour. La plaie à peine cachée était sale, d'une couleur douteuse, rongée par l'infection. Lola soupira, assise sur la table en se curant les ongles. Pfff... j'ai toujours les mains froides, depuis que je suis morte. Par ta faute. La vraie Lola n'aurait jamais dit ça. Cette nouvelle Lola, elle était méchante. Elle était comme une ombre sans couleur de sa petite sœur, revenue pour hanter son esprit à jamais. Quand elle marchait, il semblait plutôt qu'elle flottait. Jo-Beth se dit alors que c'était à ça que ça devait ressembler, la folie. Ou peut-être la culpabilité. Elle se roula en boule dans un coin de son appartement et mordant son poing pour ne pas crier et, les larmes aux yeux, essaya d'ignorer les bavardages futiles de la fausse Lola. Car Lola était morte. Et quand elle se décida enfin à sortir de son coin après plusieurs heures à pleurer des larmes de terreurs, Lola était toujours là. Elle eut un rire méchant. Tu fais peine à voir ma pauvre. Dire que c'est pour ça que je suis morte. Et elle disparut. Jo-Beth, seule dans le silence de son appartement, réalisa que la fausse Lola avait raison. Lola était morte pour elle. Elle devait vivre. Elle devait remonter la pente.