GODRIC † a riot about to explode into flames.

Spoiler:

do or die

Les neuvièmes jeux de la faim. Sa première moisson. Il est très beau aujourd'hui. Il a une chemise blanche pour une fois immaculée. Il a l'oeil vif, entre l'excitation et la peur. Il a vite embrassé sa mère, qui lui a dit qu'il était très beau, avec ses cheveux pour une fois bien en place et son air un peu radieux. Il est bien plus excité qu'il n'est effrayé, à vrai dire. Etonnamment, Godric ne s'est jamais entraîné. Enfin si, un peu – comme tout le monde. Mais son truc, c'est pas vraiment se battre. En fait, son truc, c'est rien. Son truc c'est rester au fond de la classe, regarder par la fenêtre et rire aux blagues de son voisin, sans plus ni moins. Docile, il fait tout ce qu'on lui demande, se tenant bien droit comme sa mère lui a enseigné. Il retrouve quelques camarades de classe, avec qui il est au fond – et devant, les plus âgés – si bien qu'il doit se mettre sur la pointe des pieds pour apercevoir l'estrade et l'écran géant. Il regarde avec un œil brillant de curiosité tout ce que le Capitole a à leur dire et, très vite, les noms sont choisis. Une certaine Cinderella pour les jeunes femmes – elle est plus âgée que lui d'un ou deux ans, il n'en sait rien. Les doigts de l'hôtesse hésitent dans la boule en verre puis attrapent un morceau de papier. Avec une lenteur agaçante et toujours excitante, elle le déplie. S’éclaircit la gorge puis décoche un sourire en coin ravi. « Leonard Evander ! » Non est la première chose à laquelle pense Godric. Ce n'est pas humainement possible. Elle ne peut pas avoir dit son nom, c'est impossible. Il ne figure qu'une seule fois dans le lot ! Il ne bouge pas, semble figé entre l'horreur et la réflexion alors que, très vite, un couloir humain se forme devant lui. Avec angoisse, il regarde autour de lui. Les visages qu'il connait. Edward qui baisse le regard. Harry qui a déjà détourné les yeux. Et même son meilleur ami James semble se concentrer sur un point dans le vide. « Allez, Leonard ! Ne sois pas timide : c'est un grand honneur. » se réjouit l'hôtesse, apparemment toute excitée. Le jeune homme – non, le garçon – lève les yeux vers elle, hébété, hagard. Ses yeux tombent sur sa prochaine coéquipière puis balaient la place à la recherche des yeux de ses parents ou de quiconque capable d'arrêter cette folie. Personne. Oui, c'est un grand honneur. C'est un grand honneur pour les autres, pas pour lui. Lui, tout ce qu'il veut c'est vivoter. Devenir maçon ou un truc simple comme ça où il faut utiliser ses mains. Il ne veut pas mourir aux Hunger Games. Il déglutit et fait un pas en avant tout de même. Lève un tantinet le menton même si ses poings serrés font trembler ses bras. « Je me porte volontaire. Je me porte volontaire ! » Moment de flottement. Les yeux clairs de Godric tombent sur la silhouette de l'impromptu. Oh non.

Et il meurt.
Il avait espéré. Oh, il avait tant espéré. Priam Wakefield est grand et fort. Il dégage un charisme animal, il a même reçu une arme des sponsors. Il a une petite tribu de carrières et franchement, Godric y croyait. Il se voyait déjà en train de l'accueillir en larmes, une fois qu'il retournerait au district, en le remerciant trois mille fois de lui sauver la vie. Mais il meurt. Godric le voit, sur l'écran, en train de saigner. Il a pris un couteau de lancer dans la poitrine, deux couteaux, trois couteaux et il va mourir. C'est la fille du deux – son alliée – qui a lancé les couteaux et là, elle les récupère en le laissant à l'agonie. Avec une fascination morbide, Godric le voit en train de crever, il sent presque la vie l'abandonner, s'échapper de son être dans un râle. Un dernier spasme. Ses yeux se révulsent. Coup de canon, il est mort.
C'est comme si lui-même était mort. On aurait pu tout aussi bien le cribler de couteaux de lancer qu'il aurait ressenti la même chose. Le plancher s'ouvre sous ses pieds, il sent son corps perdre toute chaleur et ses membres s'engourdir, sa vision se flouter. Les larmes, la tension, la tristesse, il ne sait pas, ne sait plus rien. Il s'élance sans rien dire et va se réfugier dans sa chambre, dans le grenier. C'est une grande chambre sous les toits de la maison, avec les murs en pente et la charpente qui menace de vous assommer quand vous passez. Il se réfugie dans un coin sans rien dire, sur son lit, face au mur. Il est habitué aux coins, Godric : c'est l'endroit où il passait les trois quarts de son temps en classe, quand il était plus jeune. Il regarde le coin. Il est mort. Mort, mort, mort. Il ferme les yeux, pose ses bras sur ses genoux repliés, ses poings fermés sur ses paupières jusqu'à ce qu'il voit des couleurs. Que va-t-il dire à sa sœur ? Que va-t-il dire aux autres ? Il est mort pour lui. Il s'est porté volontaire et il est mort à sa place. Ses doigts passent dans ses cheveux, griffent son crâne, son cou, ses joues, ses épaules, son dos. Il devrait être mort.

everything has changed

Il s'arrête de courir. Il grogne en laissant retomber ses mains sur ses genoux, tâchant de reprendre lentement son souffle. Des points dansent devant ses yeux, sa respiration est erratique, sa poitrine se soulève avec difficulté. Puis, soudain, il sent une paire de doigts s'enfoncer entre ses côtes, attraper un morceau de peau, le tordre et il pousse quelque chose entre le gémissement et le grognement de douleur. Un ricanement lui répond, il attrape la jeune femme par la taille avant qu'elle ne s'échappe. « Espèce de gros lard. » se moque-t-elle en se détachant. « T'es toujours à la traîne. » Abraham Wakefield est en fait une fille géniale et Godric l'adore. Vraiment. Mais des fois, elle l'énerve vraiment, surtout quand elle le prend de haut – comme là. Il a trouvé sa vocation, maintenant. Le lendemain de la mort de Priam, il se présentait à l'entraînement des carrières, regard dur et mâchoires serrées. Il séchait les cours – de toutes manières, qu'il ne suivait pas – pour y aller, courait, se battait, faisait de son mieux pour être... meilleur. Au début, il voulait lui aussi se porter volontaire. Un sacrifice, une excuse aux Wakefield dont le fils lui avait sauvé la vie, un doigt d'honneur au Capitole car il irait le sourire aux lèvres même en sachant sa mort imminente. Mais Abraham l'avait convaincu de ne pas le faire et depuis, ils étaient les meilleurs amis du monde. Malgré eux, malgré tout. Ils avaient seize, peut-être dix-sept ans. Ils étaient des carrières mais ne se porteraient pas volontaires – quoi qu'ils ne refuseraient pas si leur nom était choisi –, attendant sagement leur heure jusqu'à devenir Pacificateurs. Comme ses parents avant elle dans le cas d'Abraham et comme ses poings douloureux lui faisaient promettre pour Godric. Il avait trouvé un goût exquis à la violence, à la course, à l'adrénaline dans ses veines et l'énergie dépensée dans son corps. Il aimait se sentir faible, les courbatures lui mordant les muscles, chaque os de son corps lui criant grâce. Godric fait tout, ou rien. Fais-le ou meurs en essayant. Il soulève Abraham du sol avec un grondement sauvagement et elle ne peut s'empêcher de glousser en lui tapant dans le dos pour qu'il la remette sur ses pieds. Il sourit en coin et la lance presque parterre – et elle se redresse avec grâce et agilité. « C'est toi qui est grosse. » « T'es juste jaloux de mon corps de rêve. » C'est vrai qu'elle a un corps de rêve, Abby. Même avec les joues rouges à cause de la course et les petites perles de sueur sur ses tempes et les mèches folles brunes qui s'échappent de sa queue de cheval règlementaire, elle est carrément belle. Godric s'est toujours fait cette réflexion. Toutes les fois où elle le regardait en fronçant les sourcils, alors qu'ils n'étaient encore que Abraham la première de la classe et Lenny le cancre. La fois où elle a pleuré en face de lui, peu après le décès de son frère, quand ils étaient Abraham la sœur en deuil et Godric le lâche qui ne devrait pas être en vie. Et toutes les fois où elle sourit en lui pinçant les côtes, Abraham la meilleure amie et Godric l'amoureux secret. « N'importe quoi. T'as des bourrelets de partout. » « T'es le pire, Evander. » Elle fait une moue vexée et repart déjà vers le camp d'entraînement avant qu'il ne sourisse et passe un bras autour de ses épaules en marchant à côté d'elle. « T'es mignonne avec tes poignées d'amour. » « Dégage ! »

small bump

Elle devrait avoir de grands yeux bleus comme sa mère et des cheveux blonds comme son père.
Les parenthèses autour de sa bouche et les pommettes qui ressortaient.
Les grimaces contrariées et les sourires francs.
La joie de vivre et l'érudition.
Elle devrait.
En fait, Godric ne sait pas. Il ignore tout d'elle. Il ne sait pas ce qu'elle aime manger le matin et le soir et il ignore son jeu préféré, la couleur qui lui va le mieux, si elle écoute en classe comme sa mère ou si elle préfère rigoler au fond comme son père. Il pense à elle tous les jours, à chaque seconde et c'est comme autant de coups de poignard dans son cœur. Il l'imagine tous les jours mais ne sait pas à quoi elle ressemble. Il la voit dans ses rêves mais au réveil, il ne sait plus. Il ne l'a vue que quand elle était toute petite, tout juste amenée à la vie. Il se souvient de ses grands yeux ingénus, de ses cris puis de ses gazouillis. Et du regard d'Abraham qui semblait lui demander, ravi mais fatigué, et maintenant ?
Et maintenant, il ne savait plus. Rien ne comptait si ce n'était que ces grands yeux bleus qui le vrillaient avec intérêt et une sorte d'appréhension. Ils avaient décidé de la garder malgré tout, même s'ils n'étaient pas à proprement parler un couple, même s'ils étaient des pacificateurs en devenir. Même si tout semblait contre eux.
Mais on leur avait enlevé leur petite fille, évidemment. Un pacificateur ne doit pas avoir de vie, ne doit vivre que pour la paix, son chef d'état, ses districts, son job. Il ne doit rien avoir d'autre, et encore mois une petite fille au regard bleu qui vous ensorcelle en un quart de seconde.
Il sent une pression et baisse les yeux. C'est un enfant qui tire sur sa manche, si bien qu'il s'accroupit face à elle en articulant un sourire chaleureux sur ses lèvres. Elle a deux tresses blondes, un visage poupon et des yeux clairs. Elle doit avoir six, sept ans. Comme Eden devrait les avoir, à moins qu'elle n'ait encore que cinq ans ? Il l'ignore. Il ne la connaît pas. Si ça se trouve, elle mourra un jour aux jeux de la faim et il n'en saura jamais rien – ou il la retrouvera à la fin de son service, quand elle aura vingt ans. C'est inhumain. C'est inhumain la douleur qui lui tord le cœur. « Monsieur, je me suis perdue. » Il dévisage la petite fille puis lui sourit en se redressant. Il lui tend la main et, timidement, la petite s'en empare. « Tu t'appelles comment ? Tes parents habitent où ? » lui dit-il d'un ton qu'une fillette de six ans entend comme joyeux et léger – mais en vrai, sa gorge est nouée et une larme s'accroche à ses cils.