(+) dance me to the end of love

Ses mains étaient crispées sur le tissu de son pantalon, son visage fermé. Chaque année, il y avait une semaine, la plus horrible des semaines, celle où il ne dormait pas de la nuit et errait comme un zombie durant la journée. Il ne devrait pas s'inquiéter autant pour elle. Il devrait s'inquiéter pour lui, lui qui avait un bon nombre de tesserae à son actif, pour avoir les grains et pouvoir faire à manger pour tous. Il entendait les ronflements caractéristiques de son père, réguliers, comme une litanie qui, au lieu de le bercer, semblait le réveiller en sursaut toutes les cinq minutes. Il s'assoupissait, ou en tout cas, il allait vers un état proche de l'endormissement. Et il l'entendait. Son nom. C'était son nom, qui sortait du bol, et il criait, pleurait, gémissait. Comme un pauvre petit qui avait perdu sa maman. C'était douloureusement qu'il se rappelait les traits de sa génitrice, sans savoir si ce dont il se rappelait était la vérité. Il n'avait pas de photo, rien. Juste des sensations, un parfum de miel et de savon, une douceur inimaginable. Elle était morte en donnant naissance à Telly, et même si il l'accusait dans son esprit d'avoir tué sa mère, jamais il ne serait cruel envers elle pour cette faute. Elle était sa vie. De toute façon, elle n'avait pas encore l'âge d'être tirée, elle. Celle pour qui il s'inquiétait, c'était Paige. Ils s'étaient rencontrés dans le club de course, officieusement créé par Melchior, et elle l'avait battue à plate couture lors de leur premier tête à tête. Il n'avait jamais été détrôné et s'était senti sacrément ridicule, quand cette fille était venue dans sa vie et avait tout chamboulé. A présent, il tenait à elle plus qu'à n'importe qui, et c'était bien d'elle qu'il rêvait à demi éveillé. Aujourd'hui était le jour. Après, il pourrait enfin récupérer de cette semaine de peur. Tout le monde, à l'école, lui disait qu'il était le plus courageux de tous. Et pourtant, s'ils savaient...

La lumière filtrait entre les rideaux élimés de sa chambre. Il se leva sans plus attendre, de toute façon, c'était bientôt l'heure de se rendre devant l'hôtel de ville. Il se lava pour la première fois depuis de longs jours, à l'eau froide. Puis, il mit ses plus beaux habits, une chemise blanche et un pantalon marron. Rien de très fou, comme ce qui se faisait au Capitole. Il ne se rendit pas chez Paige pour aller la chercher, il se ferait sûrement taper à l'aide d'un balai car il n'avait pas le droit de se trouver ici. Elle vivait dans les beaux quartiers, elle. Elle voulait participer aux jeux, elle. Il ne comprenait toujours pas comment ils avaient pu trouver un tel lien avec si peu de points en commun. Alors, il l'attendit dans une rue adjacente à la place principale, comme d'habitude. Un sourire doux habita son visage lorsqu'il la vit arriver, également dans sa plus belle tenue. Elle était belle. « C'est parti », dit-il, essayant d'ignorer le tremblement dans sa voix. Ils se rendirent tous les deux là où bien d'autres enfants et adolescents étaient déjà arrivés. Ils se placèrent parmi les enfants de leur âge. Chez les garçons pour Mel, chez les filles pour Paige. Il ne la quittait pas des yeux, mais ce qu'il voyait chez elle n'était pas de la peur. C'était de la détermination. Elle s'entraînait pour ça, mais il ne pouvait pas imaginer qu'elle puisse participer aux jeux. Si elle gagnait, elle ne serait plus la même. Et si elle mourait des mains d'un autre .. Il ne se le pardonnerait jamais, même si le régime en place était en faute.

Comme d'habitude, un escort du capitole vint pour parler un peu, puis piocher. Melchior regardait l'écran mais son esprit était ailleurs, dirigé vers une seule personne, Paige. Vint le moment des grands bols transparents, il se concentra sur la petite main de la capitolienne qui prit le papier pour les filles. Lorsque le nom fut annoncé, il soupira d'aise de se rendre compte qu'elle avait une année de plus. Mais il ne remarqua pas la même chose chez elle, en tournant la tête. N'abandonnerait-elle jamais ses idéaux faussés ?

Assis sur une chaise en bois, il enfouit sa tête dans ses mains tremblantes pour pleurer, une énième fois. Il était seul dans la maison, ou en tout cas dans cette pièce. Sa sœur Telly était probablement en tran de faire la même chose que lui dans une chambre, ou alors elle était forte, contrairement à lui. Melchior avait toujours pensé que le pire qui pouvait arriver, soit que Telly ou Paige parte aux jeux. A présent, quelque chose d'encore plus horrible était arrivé, et il s'accrochait désespérément à l'idée que tout allait mieux aller, une fois qu'il aurait passé le deuil.

Deuil, ce mot se répéta dans son esprit. Il n'y croyait toujours pas. Pour lui, son père passerait la porte d'un instant à l'autre pour rapporter à manger pour le dîner, et ils discuteraient plus ou moins joyeusement de ce que Telly et Mel avaient fait à l'école, et si l'homme avait bien travaillé aux champs. Et puis, il les embrasserait sur le front et se retirerait dans la pièce contenant son lit. Seulement, tout cela n'arriverait plus. Ils seraient pris et envoyés dans un foyer, où d'autres enfants vivaient dans une misère encore pire que celle qu'ils avaient déjà vécu jusqu'à présent. Les larmes coulaient entre les doigts de Melchior, et il les essuya d'un geste si violent qu'il en vint à se couper avec un de ses ongles. Il observa l'unique perle de sang se former, et suça le liquide ferreux. La douleur qui était dans son cœur était pire que toute douleur physique, et il aurait aimé qu'on lui casse un membre à l'instant pour ne plus avoir à digérer cette nouvelle. Enfin, nouvelle .. L'exécution du voleur avait été faite sur la place publique, devant un bon nombre de gens. Dont lui. Dont Telly.

Il haïssait les pacificateurs de toute son âme, et se leva pour donner un coup de pied dans le mur. De toute façon, cette maison n'était plus à eux. Elle serait prise par les autorités, et il ne savait pas ce qu'ils allaient en faire. Dans le district onze, on ne gâchait rien, même une goutte d'eau. Il se versa un verre et but le contenu lentement, s'étouffant à intervalles à cause des sanglots qui remontaient de sa gorge. Cette situation n'était pas réelle. Il s'essuya les yeux, et se baffa. Il ne fallait pas qu'il soit faible comme ça. Il fallait qu'il soit un roc, pour sa sœur, pour tous ses proches. Reniflant, il décida de s'allonger dans son lit -ou ancien lit-, pour se calmer.

Une fois allongé sur la structure qui lui détruisait le dos, il leva les yeux vers le plafond et commença à suivre du regard les craquelures de la peinture. Peu à peu, son corps commença à devenir engourdi, et il ferma les paupières. Deux secondes plus tard, il se vit courir jusqu'à l'endroit où les châtiments corporels et exécutions étaient montrées à tous. Il se vit découvrir avec horreur son père, leur père, devant la corde. La corde nouée. La corde du pendu. Et il vit tous ces regards autour de lui, les désespérés et les gens qui en avaient trop vus pour être intéressés. Il se vit crier « papa », et il vit le regard de l'homme meurtri trouver celui de son fils. Il se vit ne rien dire d'autre. Et il se vit regarder, la poitrine lourde, son père mourir.