MEA (+) i'll turn out liking you a lot more than i originally planned

« Mea ? » La jeune adolescente se retourna, un sourire aux lèvres alors qu’elle faisait face à la benjamine de la fratrie. « Peux l’avoir une histoire ? » « Owiiii, une ‘stoire ! » Son regard balaya les cinq derniers de la fratrie, tous plus excités les uns que les autres à l’idée d’avoir une histoire. Du haut de ses douze ans, elle était l’aînée de la famille et ressemblait fortement à une deuxième mère pour ses frères et sœurs. Parce que sa mère ne pouvait pas travailler et s’occuper d’eux, elle avait fait son choix, un choix difficile mais qui, au fond, n’était pas réellement un choix si elle voulait nourrir sa famille. « Une histoire sur quoi ? » « Une sur… euuuh, les voleurs ?! » « Naaaan, sur les poissons ! » « PFFF, c’trop nul les poissons Sila, t’es nulle » « Heeey, sois gentil Edan. » «Et sur les bateeeaux ?! » Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de Mea alors qu’elle observait les quatre enfants se chamaillaient sur l’histoire. Elle aurait pu leur dire de se taire, oui, mais elle était fascinée par leur insouciance, par cette façon qu’ils avaient de ne pas s’inquiéter de l’avenir. Elle, elle n’y arrivait plus. « Moi j’veux suuuur… dis Mea, j’veux une ‘stoire de Papa. » L’excitation de la pièce retomba nette, laissant la jeune adolescente un peu surprise mais elle n’eut pas le temps de répondre que déjà, les trois autres enfants acquiescèrent en silence, soudainement tous d’accord pour cette histoire. Parler de leur père n’avait jamais été facile pour Mea, les émotions étant encore dures à gérer pour la jeune fille. Parce que même un an après les événements, la mort de son père restait très difficile à accepter pour Mea. Pourtant, elle ne refusa pas et se contenta de tirer la couette contre elle avant d’ouvrir ses bras en un sourire amusé, laissant les plus petits de sa fratrie se nichaient contre elle. « Alors… Je vais vous raconter le jour où Papa m’a emmené pêcher avec lui et qu’il a pêché un énorme poisson. » Oui, elle allait légèrement enjoliver l’histoire, grossir le poisson pour contenter l’imagination de ses frères et sœurs mais une chose était sûre, elle voulait surtout qu’ils comprennent à quel point leur père était un héros.

« MEARA ! » Sa capuche sur la tête, la jeune femme fronça légèrement les sourcils avant de voir le visage de sa sœur dans l’entrebâillement de la porte.  « C’est… C’est Maman. » Le cœur de Mea sembla se figer dans sa poitrine, si douloureusement qu’elle en eut le souffle coupé. Maman. Un seul mot qui suffit à la jeune femme pour quitter la conserverie sans une explication. Sa main attrapa celle de sa sœur dans la foulée alors qu’elles se mirent toutes les deux à courir en direction de la maison. Qu’est-ce qui avait pu se passer de grave, parce qu’au fond d’elle-même, elle savait que Malya n’était pas venue la chercher si ce n’était pas grave. « Mea ! Attend ! » Mais déjà, la jeune femme avait poussé la porte de la maison et sa seule réaction fut un violent haut de cœur. Cette odeur si… âcre et métallique lui donnait envie de vomir le peu qu’elle avait mangé ce matin. Elle ne voyait déjà plus rien alors que le malaise semblait la guetter de plus en plus. Mais elle ne pouvait pas tomber dans les pommes maintenant, pas alors que sa mère était en train de se vider de son sang dans le salon. Elle s’accorda une respiration, profonde malgré l’odeur avant de rouvrir les yeux et de découvrir sa mère. « Malya, emmène-les. » Il n’avait effectivement pas fallu longtemps pour qu’elle entende les pleurs de ses frères et sœurs dans la pièce d’à côté et elle refusait qu’ils assistent à cela. Sa jeune sœur acquiesça doucement, tremblante avant d’emmener les plus jeunes dehors par une autre porte. « Maman….Ca… ça va ? » Quelle question stupide mais pourtant, Mea n’avait rien trouvé de mieux à dire, parce que la vue de sa mère en train d’agoniser la rendait malade. Mais elle devait être foret. Cela faisait déjà plusieurs jours que sa mère était malade suite à une mauvaise blessure qui ne cicatrisait pas. Une infection avait-dit un des médecins, mais la famille n’avait pas eu les moyens de la soigner. Alors elle était là, à vomir du sang tout en essayant de rester consciente. Sa blessure à la jambe saignait également, d’une drôle de façon pensa Mea avant de replonger son regard sur le visage de sa mère. « Promet-moi de bien t’occuper d’eux… » lâcha d’elle dans un souffle difficile et Meara acquiesça doucement alors qu’un sanglot s’échappa de ses lèvres, laissant quelques larmes s’échappait de ses yeux noisettes.« Je te… Je te promets maman. » Elle lui promettait de ne jamais les abandonner, jamais. Au péril de sa vie.

« Soyez sage, et … » « On saiiiit, faut bien travailler ! » Un sourire amusé se dessina sur le visage de Mea alors qu’elle embrassait Silayan sur le front avant de la laisser suivre ses frères et sœurs jusqu’à l’école. Silayan était la dernière de la fratrie et du haut de ses tout juste douze ans, elle restait certainement la plus proche de Mea et celle qui avait le plus besoin d’elle au quotidien. « A ce soir. » Elle, elle avait quelque chose à faire aujourd’hui, quelque chose qu’elle était terrifiée à l’idée de faire mais dont elle n’avait pas le choix. C’est comme ça qu’une trentaine de minutes plus tard, elle se retrouva dans le village des vainqueurs avec l’estomac noué de peur et de faim. Elle n’avait presque pas mangé ce matin, laissant les pauvres morceaux de pain aux plus jeunes. Mais ça ne pouvait plus durer, ils étaient en train de mourir de faim tout doucement mais sûrement. Cela faisait six mois que leur mère était morte, six longs mois où Mea avait tenté tant bien que mal de nourrir sa fratrie. Mais c’était impossible, pas avec le peu qu’elle gagnait à la conserverie. C’est pour cette raison qu’elle avait décidé de chercher un meilleur emploi, en vain. Parce que personne ne voulait d’elle, d’une jeune femme certes débrouillarde mais qui n’avait pas réellement d’expérience. Et puis avoir arrêté l’école à quinze ans ne l’aidait absolument pas. Il restait un endroit. Mais c’était du suicide.

Trois petits coups contre la porte. Mais rien. Personne ne vint lui ouvrir la porte. Elle toqua de plus belle, tentant de ravaler les larmes qui se battaient derrière ses paupières. Et si elle était prise et qu’elle se faisait tuer ? Que ferait-il sans elle ? Malya serait-elle capable de prendre la relève ? Trop de questions se bousculaient encore dans sa tête quand la porte s’ouvrit sur cet homme. Et malgré le fait qu’elle se soit préparée à ce moment, Mae ne put s’empêcher d’avoir un mouvement de recul. Elle resta silencieuse quelques secondes, se demandant soudainement ce qu’elle faisait là, était-elle si désespérée ? Elle savait que oui, suffisamment désespérée et suicidaire pour se rendre au manoir Frey pour demander un travail. Pour travailler dans les mêmes pièces que ce monstre. Parce que les rumeurs allaient bon train sur cet homme et elles étaient loin d’être glorieuses. Violée et tuée, voilà le triste sort d’une de ses domestiques il y a quelques temps déjà. C’était un monstre mais Mea n’avait pas d’autre choix pour faire survivre sa famille, quitte à prendre le risque de se faire tuer. Parce que clairement, travailler dans le manoir Frey était le travail le plus dangereux aux yeux du peuple du district quatre, bien plus dangereux que de partir à la pêche au beau milieu d’une tempête magistrale. Mais tout cela n’empêchait pas Meara de se tenir face à cette homme quand elle lâcha sa phrase si souvent répétée. « Je veux travailler avec vous. Je vous en supplie, ils… ils vont mourir de faim. »

« A ce soir ! »  Un dernier regard vers ses frères et sœurs puis Mea se remit à marcher en direction du manoir Frey. Cela faisait maintenant plus de quatre mois qu’elle y travaillait en tant que domestique et si les premières semaines avaient été très difficiles pour la jeune femme, elle avait fini par prendre tout doucement ses repères malgré la crainte qu’elle avait envers cet homme. Combien de fois avait-elle sursauté violemment quand il était apparu dans une pièce sans qu’elle le remarque ? Combien de fois avait-elle voulu se fondre dans le mur juste pour disparaître quelques instants ? Trop, bien trop mais elle ne pouvait s’empêcher d’en être effrayée, malgré le fait qu’elle soit toujours vivante après quatre mois à travailler ici. Alors oui, Mea ne se rendait plus malade le matin quand elle s’apprêtait à partir pour le manoir mais elle gardait cette boule au creux de son estomac et elle restait si méfiante et craintive qu’on aurait pu la confondre avec un animal sauvage effrayé par l’homme. Parce que cet homme était loin de tout ce qu’elle avait connu, parce qu’il avait l’âge de son père mais qu’il était totalement ravagé. Par quoi ? Les jeux probablement, c’est ce qu’on lui avait dit. Ravagé, avec un caractère si instable que Mea ne pouvait pas s’empêcher de le jauger discrètement dès qu’il rentrait dans une pièce. Pour le peu qu’il ne s’énerve, elle ne tenait absolument pas à être de la partie. Entre ça, les médicaments et l’alcool, elle ne savait jamais par quel bout prendre cet homme quand elle avait quelque chose à lui demander. Mais pourtant, elle a commencé à l’apprécier, tout doucement mais sûrement. Peut-être parce qu’elle a fini par se rendre compte qu’il n’était rien d’un réel monstre, juste un homme brisé par la vie comme elle pouvait l’être  à sa manière. Mais de là à ne plus avoir peur de lui, il restait encore un fossé… Pourtant, elle lui était redevable, redevable de l'avoir embauché et de lui offrir un salaire qu'elle n'aurait eu nul part ailleurs. Alors oui, quand elle se rappelait les visages émerveillés de ses frères et sœurs devant un bon repas, c'était à lui qu'elle le devait.